Les mystères de la rotation de l’œuf dur

Quelle est une façon simple de distinguer un oeuf frais d’un oeuf dur sans casser leur coquille ? Tout simplement en plaçant ces deux oeufs sur une table et en les faisant tourner comme des toupies. Avec un peu de pratique, l’oeuf dur risque de se dresser et de se mettre à tourner sur l’un de ses sommets... ce que l’oeuf cru est incapable de faire ! En 2002, ce phénomène contre-intuitif fut expliqué par deux mathématiciens, Keith Moffatt de l’université de Cambridge et Yutaka Shimomura de l’université Keio (Japon), dans un article paru dans le journal Nature. Ils avaient modélisé toutes les forces agissant sur un sphéroïde en rotation. Ils avaient conclu que le frottement entre l’objet et la surface sur laquelle il tourne produit un effet gyroscopique qui permet la transformation d’une partie de l’énergie cinétique de l’objet en énergie potentielle, entraînant alors l’élévation de son centre de gravité.

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Source : Nature, vol 416, p. 385-386
Un corps asymétrique tourne sur une table horizontale avec un point de contact P. Les forces mises en œuvre sont le poids de l’œuf Mg, la force de réaction R au point de contact P et la force de frottement F dans la direction Y au point P

En fait, lorsque l’oeuf tourne, sa surface touche la table en un point unique qui décrit un cercle. Si la texture de la table est correcte, ni trop lisse, ni trop rugueuse, l’oeuf glissera légèrement tout en tournant. Ce glissement ralentit légèrement la rotation, introduisant une instabilité dans le mouvement. Ceci a pour conséquence d’incliner l’oeuf, soulevant un de ses sommets de la table, moment auquel l’effet gyroscopique rentre en jeu. La transformation d’une partie de son énergie cinétique en énergie potentielle permet à l’oeuf de se dresser. Cet effet est ensuite amplifié par le fait que, lorsque son sommet se soulève, l’oeuf se rapproche de son axe de rotation ce qui contribue à le faire tourner plus vite.

Pour entrer en jeu, ce phénomène nécessite une vitesse de rotation critique, d’environ 10 révolutions par seconde. A contrario, il ne se produira pas pour un oeuf cru parce qu’une grande partie de l’énergie cinétique de l’oeuf est dissipée par la résistance due au frottement entre la coquille de l’oeuf et l’intérieur liquide (le blanc et le jaune). L’énergie restante s’avère alors insuffisante pour déclencher l’effet gyroscopique.

Lors de sa parution, cet article avait été critiqué notamment du fait de l’approximation gyroscopique adoptée par les mathématiciens ; cette approximation suppose un frottement faible et une rotation élevée. Les auteurs, associés à Michal Branicki, un étudiant de Cambridge, viennent de publier de nouveaux travaux justifiant l’approximation utilisée et étendant la modélisation du mouvement de l’oeuf. En particulier, les chercheurs ont montré qu’un sphéroïde en rotation rapide peut parfois perdre contact avec la table et s’élever en une série de sauts. La solution exacte pour le mouvement libre qui suit ce saut est analysée et la dépendance temporelle de la distance entre la table et le sphéroïde est obtenue jusqu’au moment ou le contact entre l’œuf et la table est rétabli. Les simulations numériques sont en bon accord avec les résultats analytiques.

Selon le professeur Moffatt, toutes sortes d’idées pourraient découler de ce modèle... mais il rappelle avant tout qu’il est bon de savoir que les mathématiques peuvent toujours être source d’amusement !


Sources : Proceedings of the Royal Society, A, 1364-5021, www.journals.royalsoc.ac.uk ; Nature, vol 416, 28/03/02, www.nature.com ; The Daily Telegraph, 17/05/05, www.telegraph.co.uk ; fluid.ippt.gov.pl/ictam04/text/sessions/docs/FSM6/11862/FSM6_11862_new.pdf.



Auteur : Dr Anne Prost

publié le 09/07/2008

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