Pari (risqué ?) sur le graphène

Konstantin Novoselov et André Geim, chercheurs à l’université de Manchester, ont partagé en 2010 le prix Nobel de physique pour leur découverte d’une technique permettant de produire des feuillets de carbone de l’épaisseur d’un seul atome : le graphène.

Matériau du futur aux propriétés physico-chimiques sans précédent (materiau fin et flexible, propriétés mécaniques et électriques variant en fonction de son environnement), il a déclenché une petite révolution dans le monde des sciences de la matière. Afin de capitaliser sur cette découverte, l’Engineering and physical sciences research council (EPSRC, Conseil de recherche en sciences physiques et de l’ingénieur) a annoncé en février 2012 l’investissement de 38 M£ dans la construction d’un National Graphene Institute (Institut national du graphène) au sein de l’université de Manchester (26 M£ pour l’infrastructure et 12 M£ pour l’équipement). A l’heure où les coupes budgétaires sont légion et affectent plus ou moins tous les secteurs de la recherche, la question est de savoir si un tel investissement est véritablement judicieux.

Pour certains chercheurs d’autres universités britanniques, il s’agit là d’une volonté du gouvernement de transformer les universités en "machines à profit", seul le gain financier ayant de l’importance. Pour d’autres, il est tout simplement inconcevable qu’un seul matériau, aussi prometteur soit-il, puisse relancer à lui seul l’industrie de l’électronique britannique. Si "l’institut est très bien et va très certainement contribuer à produire une recherche scientifique remarquable", Pascal André, chercheur en nanomatériaux à l’université de St Andrews, ne peut s’empêcher de se demander si "l’écosystème de l’innovation britannique va être uniquement fondé sur le graphène pour les 5 à 10 années à venir." Du côté des entreprises, un mythe aurait circulé, présentant le graphène tel le nouveau silicium. Or Phaedon Avouris, du T.J. Watson Research Center d’IBM à New York, insiste sur le fait que le graphène n’est pas un semi conducteur, et n’a pas la bande de conduction suffisante lui permettant de se conduire à lui seul tel un transistor, élément de base de l’électronique. Le graphène a, aux yeux d’Avouris, le potentiel de trouver une niche de marché (composés électroniques de haute fréquence, par exemple) mais la question est de savoir si à un moment ou un autre, celui-ci sera véritablement un succès. Pour ajouter à la liste des "doutes" quant au succès du graphène, il apparaît que le Royaume-Uni est à la traîne en termes de brevets associés aux utilisations potentielles de celui-ci.

Novoselov, pour sa part, semble avoir pris en considération les tenants et les aboutissants. Il s’est dit favorable à la construction de l’institut à partir du moment où il a été assuré que l’argent immobilisé pour ce projet n’avait pas été octroyé au détriment de bourses de recherche. S’il ne refute pas les arguments des détracteurs, il est cependant de l’avis que l’investissement sera payant, et ce, assez rapidement. Cela nécessitera une expansion de ses activités de recherche (il regarde à l’heure actuelle comment combiner le graphène avec d’autres matériaux 2D) et permettra également à des entreprises, petites et grandes, d’effectuer de la recherche au sein de l’institut et répondre à leurs ambitions industrielles. Ne serait-ce qu’au sein de l’université de Manchester, des chercheurs de toutes disciplines (chimie, biologie, sciences des matériaux, ingénierie) participent à des réunions hebdomadaires pour discuter des applications potentielles du graphène. Enfin, Novoselov pense que "si nous ne travaillons pas là-dessus, rien ne se passera".

Si le mot de la fin semble irréfutable, la question reste tout de même de savoir si l’investissement d’une telle somme, en un lieu unique, pour concentrer des efforts de recherche sur un seul et unique matériau est un pari risqué... ou non ? Seul l’avenir nous le dira.

Sources :

Britain’s big bet on graphene, Nature, News in Focus, vol 488, 9 août 2012

Rédacteurs :

Maggy Heintz

publié le 06/12/2012

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