La présidence française de l’UE est "un moment important, précieux"

Politique étrangère - Présidence française du Conseil de l’Union européenne - Ukraine - Russie - OTAN - Mali - Entretien de Mme Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « RFI »

(Paris, 10 janvier 2022)

Q - Bonjour Anne-Claire Legendre.

R - Bonjour.

Q - Emmanuel Macron a lancé, vendredi, sa présidence de l’Union européenne en recevant les 27 commissaires européens ainsi que la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Parmi les dossiers qu’Emmanuel Macron veut faire avancer rapidement, il y a ce qu’on appelle la boussole stratégique. C’est un Livre blanc sur la défense qui analyse les menaces auxquelles sont confrontés les 27. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus, où en ce travail, et comment, et par qui ce document va-t-il être élaboré ?

R - Oui, en effet, parmi les priorités posées par le Président de la République lors de de sa conférence de presse du 9 décembre, il y a celle d’une Europe souveraine. Et une Europe souveraine, cela passe évidemment par une Europe de la défense renforcée. Vous savez que cela a été une priorité de la France ces dernières années, que nous avons là-dessus, fait beaucoup d’avancées. La boussole stratégique, ce serait, le premier Livre blanc de la défense et de la sécurité européennes. Et ce document, il emporte plusieurs enjeux. Le premier, c’est de développer pour la première fois dans l’Histoire de l’Union Européenne, une analyse commune du contexte géopolitique dans lequel se trouve placée l’Union européenne, et des menaces auxquelles nous faisons face. Le deuxième, c’est d’identifier les capacités et d’identifier les moyens de les renforcer, les capacités nécessaires, du côté de l’Union européenne, pour faire face à ces menaces. Et cela doit se déployer dans des espaces qu i sont aujourd’hui contestés : on parle de cybersécurité, on parle aussi de spatial et on parle aussi de sécurité maritime, bien sûr.

Q - Alors, analyse commune, c’est là aussi que c’est difficile, parce qu’on imagine bien que parmi les 27, chacun n’identifie pas les mêmes dangers, les mêmes menaces.

R - Oui, mais c’est aussi ce qui a pu faire, par le passé, notre difficulté à développer des stratégies et des approches communes sur un certain nombre de dossiers. Et donc, c’est pour cela que ce document est aussi important, puisque nos services de renseignement, nos diplomates, nos spécialistes des affaires stratégiques ont travaillé sur ce document pour produire, aujourd’hui, une analyse commune des menaces qui pèsent sur l’Union Européenne.

Q - Et où en est cette boussole stratégique ? Ce document est-il aujourd’hui quasi achevé ?

R - Alors, il y a des discussions en cours ; des propositions sont aujourd’hui sur la table et donc il nous reviendra à nous, Présidence de l’Union européenne, de faire en sorte d’avancer sur ce texte pour le faire adopter, puisque c’est notre objectif au moment du conseil européen de mars.

Q - La présidence française de l’Union Européenne va prendre beaucoup de place aujourd’hui dans la politique internationale de la France, est-ce qu’il y a un risque que, au fond, elle prenne trop de place, et qu’elle place en arrière-plan d’autres grands sujets ?

R - Non, absolument pas. Nous allons évidemment rester mobilisés sur toutes les questions qui sont d’intérêt stratégique pour la France, mais je voudrais peut-être retourner la question : je pense que ce qui est intéressant de voir dans le cadre de la présidence française, c’est un moment important, précieux. Nous n’avons pas eu la présidence depuis 13 ans, et c’est un moment qui vient à, je dirais, un tournant où nous avons besoin d’avoir une Europe qui, comme l’a souligné le Président de la République, sorte d’une Europe de la coopération à l’intérieur des frontières de l’Union Européenne, pour devenir une Europe puissante dans le monde, libre de ses choix, maître de son destin, comme l’a dit Jean-Yves Le Drian. Et on voit bien que sur toutes les questions existentielles, qu’il s’agisse de transition numérique, de transition climatique, donc les grandes questions que nous avons à traiter aujourd’hui quand nous sommes diplomates, la réponse effective, elle se trouve à 27.

Q - Des pourparlers américano-russes doivent s’ouvrir aujourd’hui à Genève. Quel doit être le rôle de l’Europe dans ces discussions sur la crise entre l’Ukraine et la Russie ?

R - Alors le rôle de l’Europe est très clair. Comme vous le savez, les discussions entre la Russie et l’Ukraine à la suite des précédentes atteintes à l’intégrité de l’Ukraine, elles sont gérées dans le cadre des accords de Minsk et du format de Normandie où la France et l’Allemagne ont joué un rôle prépondérant. Et donc ce format de Normandie, il est soutenu par la communauté internationale, c’est le seul cadre agréé pour traiter de la crise ukrainienne. Il est soutenu par les Américains, comme l’a dit le président…

Q - Mais pas par les Russes.

R - Les Russes ont accepté de faire partie de ce format de Normandie, mais nous n’avons pas réussi à tenir depuis 2019, la fin 2019, une nouvelle réunion qui avait pourtant été agréée par le président Poutine. Donc, c’est une bonne chose qu’il y ait des discussions entre les Américains et les Russes sur les tensions ukrainiennes, et je dois, à cet égard, souligner, comme l’a fait le Président de la République, qu’il y a une coordination exemplaire avec nos amis américains sur ce sujet.

Q - Mais pour l’instant, donc, la Russie ne veut parler qu’avec les États-Unis et ça, ce n’est pas une forme d’échec pour la diplomatie européenne ?

R - Non, je ne crois pas. Je crois que c’est une attitude qu’on a déjà pu voir par le passé. Je pense que ce qui est important aujourd’hui, c’est de voir comment nous nous mobilisons. Il y a eu une séquence diplomatique extrêmement intense, les ministres des affaires étrangères se sont réunis vendredi dernier, lors d’une réunion exceptionnelle de l’OTAN. Il y a évidemment des contacts extrêmement approfondis en amont et après les contacts entre les Russes et les Américains, et nous avons, au-devant de nous, le Conseil de l’OTAN, auquel les Européens participent et ensuite nous aurons, en fin de semaine, cette semaine, le Gymnich, qui rassemblera tous les ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne et tous les ministres des armées pour définir le cadre de discussions avec la Russie, ce que nous souhaitons.

Q - Est-ce que la France comprend que la Russie s’inquiète et s’oppose catégoriquement à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ?

R - La France prend en compte les préoccupations effectives de nos partenaires et je vous rappelle que le Président de la République avait, dès 2019, souhaité réengager un dialogue avec la Russie, ce que nous avons fait. Et donc, pour nous, il est important de pouvoir soutenir la possibilité de ce dialogue avec la Russie, mais de le faire évidemment sur la base de paramètres qui répondent à nos intérêts collectifs de sécurité en Europe. Et à cet égard, il faut évidemment que les Européens soient parties prenantes de toute discussion qui porterait sur la sécurité stratégique européenne.

Q - Quelles sont les informations dont la France dispose aujourd’hui sur la présence d’hommes appartenant à la société russe Wagner au Mali ?

R - Nous disposons d’informations extrêmement claires, et quand je dis « nous », c’est la France, mais c’est tout un nombre de partenaires. Le 23 décembre dernier, nous avons, avec 14 autres partenaires, européens, et d’autres encore, condamné la présence de la milice des mercenaires de Wagner sur le terrain malien ; ce que nous avons comme informations, c’est qu’il y a effectivement, un déploiement de mercenaires sur le terrain. Nous savons aussi qu’il y a un déploiement d’autres capacités. Nous savons qu’il y a des géologues, par exemple, de la société Wagner, ce qui montre bien que, outre l’offre de mercenaires de sécurité sur le terrain, il y a aussi toute cette économie de la prédation qui se met en place, que nous avons déjà pu voir se déployer sur d’autres terrains, et notamment la Centrafrique. Et on a pu voir à quel point cela ne contribuait pas à la sécurité, puisque c’était pour la plupart du temps en contradiction avec les intérêts de sécurité des États et de l eur souveraineté, et que cela contribuait par ailleurs à une politique de prédation au détriment des populations.

Q - Est-ce que les troupes de l’opération Barkhane peuvent cohabiter avec les hommes de Wagner ?

R - Ce que nous avons dit, le 23 décembre, c’est que nous n’abandonnerons pas les populations maliennes à la menace du terrorisme. Il y a une série d’engagements internationaux qui se traduisent par différentes présences sur le terrain, et à ce stade, mais nous allons évidemment continuer à réévaluer la situation. Nous ne renoncerons pas à soutenir les populations maliennes contre les forces terroristes qui malheureusement sont présentes sur le terrain malien.

Q - La ministre des armées et le ministre des affaires étrangères avaient laissé entendre à plusieurs reprises, il y a quelques semaines de cela, que c’était une sorte de ligne rouge, en quelque sorte, l’arrivée de Wagner au Mali. Ça n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui ?

R - Il n’a jamais été question de ligne rouge. Il a été question, très clairement, de l’incompatibilité de cette présence avec les…

Q - Oui, mais qui aurait pu aller jusqu’à entraîner le retrait des troupes françaises.

R - … avec les efforts de la coalition internationale, on voit bien que cette présence-là, elle joue au détriment de tout ce qu’essaye de faire la coalition internationale sur le terrain, et je tiens à rappeler qu’il y a évidemment des forces françaises, mais il y a aussi Takuba, une force européenne. Il y a tous les efforts faits par la coalition sur le Sahel et évidemment par les forces des Nations unies sur le terrain pour jouer sur la stabilité du Mali et contrer la menace terroriste.

Q - Donc les troupes françaises ne se retireront pas, quand bien même Wagner prendrait de l’ampleur ?

R - Tout cela est évidemment évalué au jour le jour. Mais je tiens juste à réitérer ce que nous avons dit dans cette déclaration, nous n’abandonnerons pas les populations maliennes à la menace terroriste. (...)

publié le 11/01/2022

haut de la page