Le Ministre souligne l’importance de la fermeté et du dialogue avec la Russie

Roumanie - Discours de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lors d’une conférence de presse avec son homologue roumain, M. Bogdan Aurescu, à l’issue d’une réunion des ministres des affaires étrangères du format « Bucarest 9 » - Extraits

(Bucarest, 3 février 2022)

(...)

Q - La France a proposé d’envoyer ici, en Roumanie, des centaines de militaires français et même de servir de « nation-cadre » pour l’OTAN. Quelle complémentarité voyez-vous avec la présence des troupes américaines que M. Biden a proposé d’envoyer, et avez-vous déjà un calendrier ? Par ailleurs, comment la France peut-elle présenter cette initiative à Vladimir Poutine avec lequel le Président Macron va avoir un entretien téléphonique aujourd’hui, sans que ce déploiement puisse être considéré comme une forme de provocation ? Et enfin, quelles pourraient être les conséquences de ce déploiement des militaires français en Roumanie sur la présence française au Sahel, la France ne pouvant peut-être pas assumer tout à la fois, c’est-à-dire être le gardien anti-terroriste en Afrique, et puis être présent ici en Europe de l’Est ?

R - Il n’y a pas de contradiction. Je ne vois pas où vous pourriez la déceler. La France en proposant, en étant disponible pour être nation-cadre, et participer à la présence avancée adaptée de l’OTAN en Roumanie, répond à ses propres engagements dans le cadre de l’OTAN. Nous avons fait part de cette disponibilité, et cette disponibilité sera proposée à la réunion des ministres des armées qui se tiendra dans quelques jours. Cela fait partie de la solidarité que j’ai exprimée très clairement.

Il y a un autre sujet qui est le fait que, au Sahel, des États africains ont appelé la France en soutien de leur sécurité. Je ne vois pas la contradiction. La France remplit ses missions, qui sont des missions de solidarité, des missions de sa propre sécurité, des missions aussi de participer à la sécurité de l’Europe. Elle répond aux pays qui demandent son soutien, comme c’est le cas en particulier au Sahel.

Sur la coordination potentielle avec la présence de forces américaines qui a été décidée au niveau bilatéral, nous le constatons, Bogdan s’en est réjoui, et il n’y aura absolument pas de difficulté à établir une bonne complémentarité avec la présence avancée adaptée à laquelle nous participerons si d’aventure nous sommes retenus dans la proposition que nous allons faire.

Je ne crois pas qu’on puisse dire que ce soit une provocation que de répondre aux engagements auxquels nous devons répondre dans le cadre de notre présence à l’OTAN. Et je ne vois pas en quoi cela pourrait perturber les discussions qu’a régulièrement le Président de la République avec le Président Poutine. Le sujet de fond, là, à l’heure actuelle, c’est la désescalade. Et tout doit être fait pour que l’on puisse aboutir le plus rapidement possible à la désescalade. Qu’est-ce qu’on fait pour désescalader ? D’abord, on dissuade. Et puis aussi, on parle ! Et donc, nous sommes pour que l’on retrouve les voies d’un canal de discussion avec la Russie. C’est vrai que ce dialogue est toujours exigeant et difficile, mais il faut qu’il ait lieu pour éviter qu’il y ait une dégradation de la situation, parce qu’aujourd’hui, c’est vrai que la situation est grave, et que la Russie dispose des forces déployées nécessaires pour engager une initiative agressive rapidement si elle le souhai te.

Mais elle ne l’a pas décidé. Donc, utilisons toutes les démarches possibles, toutes les initiatives possibles aujourd’hui pour engager la désescalade et pour que le Président Poutine choisisse la négociation plutôt que la confrontation./.

Politique étrangère - Mali - Sahel - Ukraine - Russie - Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec France 2 (extrait)

(Paris, 2 février 2022)

Q - La France a pris acte de la décision du Mali de renvoyer notre ambassadeur, ce qui peut être vécu comme une humiliation. Elle prend acte, la France, mais va-t-elle en tirer les conséquences ?

R - Ce qui me frappe beaucoup, dans le comportement de la junte qui a pris le pouvoir, après deux coups d’État au Mali, c’est cette fuite en avant. La junte exclut. Elle exclut notre ambassadeur ; il y a quelques jours, elle excluait les forces spéciales danoises qui étaient venues, à leur demande, aider à combattre le terrorisme, et accompagner les forces maliennes pour cela. Elle a exclu antérieurement le représentant de ce qu’on appelle la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest qui était là pour être le porte-parole de ces pays. Elle l’a exclu. Elle est dans une fuite en avant, et dans une forme d’isolement complet à l’égard des autres pays africains et de la communauté...

Q - Mais quelle leçon on en tire, nous, alors que nos hommes sont sur place ?

R - C’est vrai qu’il y a là des ruptures fortes, qui se sont produites. Il y a une rupture politique, dans la mesure où ce pays est dirigé maintenant par une junte autoproclamée et qui estime ne pas pouvoir engager un processus démocratique avant cinq ans. Elle est là depuis deux ans...

Q - Il y a rupture diplomatique avec le Mali ?

R - Rupture politique, et puis rupture militaire, parce que de plus en plus, il y a des entraves à notre fonctionnement. Et puis, rupture aussi de ce pays, et de la junte au pouvoir, avec la communauté internationale, avec les Nations unies, avec les pays voisins. Donc, cette rupture-là nous amène obligatoirement à nous interroger sur notre posture. Et nous avons engagé des consultations. Nous ne sommes pas seuls dans cette affaire. Le combat contre le terrorisme au Sahel, ce n’est pas uniquement au Mali que cela se passe. Ça se passe dans d’autres pays. Et donc, nous sommes aujourd’hui en discussion et avec les Européens…

Q - Vous laissez entendre, Jean-Yves Le Drian, que la décision de retirer les soldats français, elle ne sera pas française ? Elle serait européenne ?

R - Elle sera française. Mais il faut que nous puissions discuter avec l’ensemble de nos partenaires, que ce soit les partenaires européens ou les partenaires africains, sur la manière dont nous allons nous comporter demain, pour continuer à combattre le terrorisme, parce que nous allons continuer.

Q - L’hypothèse de rester est toujours dans votre esprit et dans l’esprit de la France ?

R - Nous consultons, nous réfléchissons, et nous allons agir, dans les jours qui viennent.

Q - Sur quels critères vous réfléchissez ?

R - En fonction de la force que nous avons pour combattre le terrorisme avec d’autres, parce que nous ne sommes pas tous seuls. Nous sommes avec les Africains, le Burkina Faso, le Tchad, avec la Mauritanie, avec le Niger, ils sont combattants auprès de nous, et nous sommes avec les Européens. Il y a dix pays européens qui sont présents. Et puis, il y a aussi la communauté internationale.

Q - Je vous poserais la question autrement, Jean-Yves Le Drian : les conditions de notre maintien dans ces conditions, au Mali, sont-elles réunies ?

R - Je trouve qu’aujourd’hui la situation ne peut pas rester en l’état. Et c’est la raison pour laquelle nous sommes engagés dans une consultation pour adapter notre dispositif à la nouvelle donne que provoque la junte au pouvoir au Mali.

Q - Cela fait neuf ans qu’on est là-bas.

R - Oui, mais on a déjà beaucoup agi.

Q - Il y a énormément d’hommes, d’infrastructures qui sont installés à Gao, on ne déciderait pas de quitter le Mali comme ça, ça prendrait du temps ?

R - De toute façon, si on quittait le Mali, cela prendrait du temps, mais aujourd’hui le sujet, c’est comment est-ce que demain on va continuer à combattre le terrorisme non seulement au Sahel, mais aussi dans la zone du golfe de Guinée par ce que les pays…

Q - Le combat continue, c’est cela que vous nous dites, ce matin, mais il peut se passer… il peut être conduit ce combat du Niger, par exemple ?

R - Le combat continue. Il peut se passer autrement. On est en train de réfléchir à cette adaptation.

Q - Notamment au Niger ?

R - Cela peut être sous une autre forme, à discuter avec les différentes capitales africaines. Nous sommes dans ce débat-là. Il y aura, à la fin de cette semaine, un sommet de l’Union africaine, qui a aussi une position extrêmement ferme à l’encontre de la junte autoritaire qui est au Mali, qui est en désaccord avec les orientations de cette junte et qui a pris aussi des mesures de sanction.

Q - Le Mali vous accuse, accuse la France d’instrumentaliser les sanctions de la CEDEAO notamment.

R - La CEDEAO, ce sont des responsables souverains qui prennent des décisions à l’encontre d’un pays qui, selon eux, rompt les normes démocratiques qui sont nécessaires dans cette région.

Q - A Vladimir Poutine, vous dites « pas un pas de plus », quand on parle de l’Ukraine, et les commandos Wagner restent au Mali ?

R - C’est la décision de l’autorité malienne, de s’appuyer sur des mercenaires qui aujourd’hui n’ont jamais fait la preuve de leur capacité à lutter contre le terrorisme. On les a vus en République centrafricaine, ce sont des gens qui font des exactions, ce sont des gens qui se servent directement sur les ressources du pays ; et qui ont pour principal objectif de protéger la junte au pouvoir.

Q - Quand on voit comment les choses se passent et peut-être vont se terminer au Mali, il y a des gens qui vous regardent ce matin et qui disent : 53 soldats français sont morts… Est-ce que cette opération est un échec ?

R - J’étais ministre de la défense au moment où les opérations ont commencé, et je me souviens du premier mort, le chef de bataillon Damien Boiteux. Et puis, il y a eu récemment le 53ème, le brigadier Martin. La France a été au rendez-vous du combat contre le terrorisme, à la demande de ces pays. La France a payé le prix du sang. Et je souhaiterais vraiment que cela soit respecté.

Q - Elle est venue à la demande de ces pays. Peut-elle repartir, à la demande de ces pays, aussi ?

R - Elle est venue à la demande de ces pays, -de ces pays- parce qu’il n’y a pas que le Mali, elle est venue aussi en accord avec les Nations unies, parce que tous les ans, les Nations unies, le Conseil de sécurité mandatent à la fois la Force Barkhane et les forces des Nations unies pour maintenir la paix dans cette région. Il serait opportun que la junte s’en rende compte.

Q - La perspective de voir nos soldats rester au Mali est crédible, à l’heure où on se parle ?

R- La perspective de continuer à se battre contre le terrorisme est tout à fait essentielle.

Q - Au Mali ou ailleurs ?

R - Au Sahel et dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Q - C’est dit. En Ukraine, Jean-Yves Le Drian, sommes-nous entrés dans une logique de guerre ?

R - Je ne vais pas vous cacher que la situation est très grave. Il y a des dizaines de milliers de soldats russes aux frontières de l’Ukraine, il va y avoir dans les jours qui viennent des manœuvres militaires en Biélorussie, avec les forces russes et les forces biélorusses aux frontières de l’Ukraine. Tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait une intervention.

Q - Un danger clair et imminent dit Boris Johnson. Danger clair et imminent ?

R - C’est un danger clair et imminent, mais, à cette heure, nous n’avons aucune information sur la volonté du président Poutine de passer à l’action. Et donc, l’heure est toujours à prioriser la désescalade. C’est au président Poutine de dire s’il préfère la confrontation ou la négociation. Et nous, nous sommes favorables à ce qu’il y ait négociation. C’est possible. Il faut…

Q - Sur quoi ? Est-ce que vous voyez une condition posée par Vladimir Poutine à l’OTAN, aux Européens, à l’Occident, qui soit acceptable ?

R - Il y a deux sujets différents, mais qui sont complémentaires. Il y a d’une part la discussion et la négociation sur la situation en Ukraine. Il y a déjà eu une petite avancée qui était, l’autre jour, la réunion de ce qu’on appelle le format Normandie, où l’on retrouve à la fois les Russes, les Ukrainiens, les Allemands et les Français qui négocient sur la base d’un accord qui a eu lieu, il y a maintenant quelques années, à Minsk, en 2014. Ce format Normandie a entériné, et c’est la première fois qu’il se réunissait depuis deux ans, le maintien du cessez-le-feu. Il a fait un communiqué. Il y a déjà eu une avancée modeste, mais qui peut se poursuivre. Ça, c’est la situation en Ukraine. On peut aboutir à un accord, puisque les éléments de l’accord, on les connaît, maintenant, il faut les volontés politiques pour le faire. Et puis, il y a, plus largement, la question de la sécurité globale de l’Europe ; parce qu’aujourd’hui, il n’y a plus de règle. Il y avait auparavant, d epuis la fin du XXème siècle, toute une série d’accords qui existaient sur le contrôle des armes, sur la transparence des manœuvres. Cela n’existe plus. Il faut retrouver les formes de la sécurité collective en Europe. Et ça, on est prêt…

Q - Avec les Russes, avec les Américains, avec qui on discute ?

R - Avec les Russes et avec les Européens, et avec les Américains. On sait où il faut parler de cela. On sait qu’il faut retrouver des règles. Eh bien, mettons-nous autour d’une table dans les différentes instances pour le faire.

Q - Vous leur avez proposé, ils sont d’accord ?

R - Pour l’instant, il y a des réserves, mais il faut poursuivre le dialogue obstinément.

Q - Est-ce que dans cette histoire, il n’y a pas une part de surenchère de la part des Américains ?

R - Je pense que l’ensemble des Alliés, l’ensemble des Européens, sont d’accord sur le constat : une massification des forces, des tanks, des blindés, des soutiens militaires aux frontières ; le risque majeur qui est là, mais en même temps il y a la volonté de dialoguer. Nous sommes tous d’accord sur cette nécessité, et le Président de la République, comme président de l’Union européenne en exercice, a multiplié les contacts.

Q - Il va aller à Kiev ?

R - Il a parlé avec le président Poutine, il a parlé avec le président Zelensky. On poursuite les discussions, sans arrêt, pour essayer d’aboutir à une désescalade. Le sujet, aujourd’hui, c’est la désescalade.

Q - Si, justement, Vladimir Poutine fait un pas de plus, qu’est-ce qui se passe ?

R - A ce moment-là, on peut peut-être entrer en négociations, à la fois dans le format Normandie…

Q - Un pas de plus, j’entendais une invasion.

R - Ah, pardon. A ce moment-là, il y aura, il le sait, des mesures et des représailles considérables.

Q - Considérables ?

R - Massives, considérables, et si d’aventure il y avait une intervention qui remettait en cause l’intégrité et la souveraineté de l’Ukraine, là, maintenant, cela voudrait dire qu’il y aurait, déjà, des conséquences sur l’énergie, puisque le gaz européen provient en grande partie, il passe en grande partie par l’Ukraine. Cela aurait des conséquences graves, mais il y aurait des conséquences graves et massives à l’encontre de la Russie pour dissuader la Russie de faire une intervention en Ukraine.

Q - Ce serait l’Europe qui serait pénalisée par les sanctions économiques vis-à-vis de la Russie, aussi ?

R - Il y aura des mesures d’atténuation pour éviter que l’Europe subisse les conséquences. Mais la Russie sait que si elle fait un pas, alors les mesures seront lourdes.

Q - Des sanctions économiques ?

R - financières. (…)

Politique étrangère - Russie - Ukraine - Sahel - situation de M. Olivier Dubois - Iran - Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec « RTL »

(Paris, 28 janvier 2022)

Q - Bonjour Jean-Yves Le Drian

R - Bonjour

Q - Merci d’être avec nous ce matin. Le Président Emmanuel Macron va donc s’entretenir aujourd’hui au téléphone avec le Président russe Vladimir Poutine pour tenter une désescalade – c’est le mot employé par Paris -, alors que les troupes russes sont postées à la frontière avec l’Ukraine et que les États-Unis pensent que Vladimir Poutine va passer à l’action, c’est-à-dire envahir l’Ukraine, d’ici à la mi-février. Est-ce qu’on est au bord de la guerre, Monsieur le Ministre ?

R - Il ne faut pas se le cacher, la situation est très grave, la situation est très tendue. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement, avec des milliers de soldats russes aux frontières de l’Ukraine, singulièrement à la frontière Est ; et puis aussi, des manoeuvres qui sont en cours en Biélorussie avec des forces russes sur le Nord de l’Ukraine ; avec en plus des déclarations parfois extrêmement fortes de la part de Vladimir Poutine. Oui, nous sommes dans une situation de grande tension, et aujourd’hui, beaucoup de choses sont possibles. La gravité est là.

Q - Vous avez décidé vous-même l’envoi en Roumanie, toute proche de l’Ukraine, d’un important contingent français militaire. Mille hommes, c’est cela ?

R - La situation, aujourd’hui, c’est de s’interroger sur la volonté de Vladimir Poutine, d’où l’importance de la conversation qui va avoir lieu ce matin. Nous, nous avons, face à cette crise, trois principes de base : à la fois la fermeté - dire en particulier à Vladimir Poutine, mais aussi aux Ukrainiens et aussi aux Européens qui sont à la frontière, dans les zones Est de l’Europe, que toute atteinte à l’intégrité et à la souveraineté de l’Ukraine engendrera des répercussions massives de la part de l’ensemble des Européens, mais aussi de la part de l’ensemble transatlantique. Mais aussi une volonté de dialogue, parce que c’est indispensable de continuer à parler, de manière obstinée, avec les Russes, pour mettre Vladimir Poutine devant ses responsabilités. Et puis il y a aussi la solidarité entre nous.

Q - Mais il y a un risque d’invasion ?

R - Oui, il y a un risque, bien sûr. S’il y a des milliers de soldats au Nord et à l’Est de l’Ukraine qui sont là, avec les appoints nécessaires et avec des chars et des soutiens, oui, il y a un risque. Évidemment.

Q - Mais à quel moment on interviendrait ?

R - Le Président Poutine avait sollicité un traité avec les États-Unis et avec l’OTAN pour assurer des garanties de sécurité pour la Russie. Nous avons répondu. Nous avons répondu collectivement, puisque la lettre qui a été adressée par les États-Unis à la Russie est une lettre à laquelle nous avons contribué ; parce que la lettre qui a été adressée par l’OTAN aux Russes est une lettre et un engagement auquel nous avons contribué et que nous avons partagé, puisque c’est une lettre qui représente 30 pays dont 21 pays européens.

Maintenant la balle est du côté de Poutine. Est-ce qu’il veut être celui qui affirme que la Russie est une puissance de déséquilibre, ou est-ce qu’il est prêt à jouer l’acteur de désescalade ?

Q - Mais vous pensez que c’est une puissance de déséquilibre, la Russie ?

R - Aujourd’hui, oui. On voit bien que dans l’environnement immédiat, et dans ce que l’on appelle l’étranger proche de la Russie, il y a régulièrement des manoeuvres de déstabilisation qui sont en oeuvre, en particulier le fait d’interroger l’Ukraine sur son avenir et de faire en sorte que l’Ukraine soit désormais une puissance et un pays à souveraineté limitée.

La Russie veut développer le concept de souveraineté limitée. L’Ukraine estime qu’elle est autonome, souveraine et nous la soutenons.

Q - Pourquoi les Américains demandent-ils à leurs ressortissants et à leurs diplomates de rentrer, et pas nous ?

R - Nous avons demandé une très grande vigilance. Nous avons modifié nos règles de conseils aux voyageurs. Nous sommes en relation très étroite entre les différents services d’intelligence des différents pays pour prendre les mesures de précaution au moment où il le faudrait, mais pour l’instant, nous estimons que le dialogue peut encore se développer. C’est l’objectif de l’entretien qu’aura le Président Macron avec le Président Poutine aujourd’hui.

C’est à Vladimir Poutine de dire s’il veut la confrontation ou s’il veut la concertation. Ou confrontation, ou concertation. Nous sommes prêts à la concertation. Encore faut-il être deux pour le faire.

Q - Jean-Yves Le Drian, est-ce que cette crise va avoir pour conséquence une nouvelle augmentation des prix de l’énergie ? Quand on sait que la Russie fournit 40% du gaz importé par l’Europe ?

R - C’est une des conséquences potentielles d’un conflit aggravé. Bien évidemment, en Ukraine, 30% du gaz consommé par les Européens passe par l’Ukraine. S’il y a un conflit en Ukraine, il y aura des risques considérables. C’est la raison pour laquelle les Européens, les alliés ont décidé de préparer des sanctions de dissuasion pour mettre la Russie devant ses responsabilités et devant ses risques. On sait que des sanctions de dissuasion, qui soient financières ou économiques, sont fortes, massives, que la Russie doit s’attendre à toutes ces conséquences. Cela veut dire aussi qu’il faudra mettre en oeuvre, en particulier concernant l’énergie, des mesures d’atténuation et de précaution, des contre-mesures pour éviter que la mise en oeuvre des mesures de dissuasion que nous voulons mobiliser pour indiquer à la Russie qu’elle prend beaucoup de risques, cette mise en oeuvre suppose de notre côté quelques contre-mesures pour nous rassurer.

Q - Sanctions, cela veut dire par exemple bloquer le gazoduc Nord Stream 2 ?

R - Cela veut dire aussi, par exemple, bloquer le gazoduc Nord Stream.

Q - Monsieur le Ministre, l’autre dossier crucial, c’est bien sûr le Sahel. Il y a quelques jours nous avons perdu un de nos soldats, le brigadier Alexandre Martin au Mali, 53eme militaire à trouver la mort dans cette région. Il y a eu ce nouveau coup d’État lundi qui a touché cette fois le Burkina Faso. Ce qui veut dire que trois pays sont désormais dirigés par une junte militaire : le Mali, le Tchad et le Burkina Faso. Le Mali qui fait appel à des mercenaires russes, par ailleurs, pour sa protection. Et puis, on a appris hier après-midi que le Danemark avait décidé de retirer ses soldats de la force militaire européenne Takuba. La junte estime que les Danois ne sont pas légitimes. Avec tout ça, tout ce que je viens de décrire, qu’est-ce qu’on fait encore là-bas ?

R - C’est la junte qui est illégitime. Ce sont les colonels qui ont pris le pouvoir et qui ont fait un double coup d’État depuis août 2020, qui sont illégitimes, et qui refusent le suffrage universel, qui refusent la vérification démocratique, et qui demandent une durée de cinq ans pour assurer la transition et faire en sorte que les élections se déroulent dans la meilleure sécurité, alors qu’au cours des dernières années, même si il y a eu des situations tendues et graves au Mali, il y a déjà eu des élections en 2013 et en 2018. Il y a une véritable fuite en avant de la part de la junte qui n’est pas acceptable.

Q - Mais qu’est-ce que l’on fait ?

R - D’ailleurs les pays de la zone - qu’on appelle la CEDEAO, c’est-à-dire les pays de l’Afrique de l’Ouest - ont manifesté leur détermination et leur opposition à ce qui se passe au Mali, en prenant des mesures de blocus à l’égard de ce pays pour amener la junte à engager un processus de transition qui permette à la démocratie de revenir.

Mais il y a un autre aspect qui est très préoccupant, au-delà de la rupture du cadre politique que je viens de décrire, il y a aussi la rupture du cadre militaire. Parce qu’on voit à la fois le Mali faire appel à une milice privée russe qui s’appelle Wagner, qui se sert directement…

Q - Proche de Poutine…

R - Oui, proche de Poutine…qui se sert directement sur les ressources propres du Mali, qui se paye. Elle assure la sécurité en se payant. Et elle assure la sécurité surtout de la junte, puisque manifestement la place de cette milice Wagner au Mali, c’est surtout de pérenniser la junte au pouvoir, mais parallèlement à cela, on voit bien que les forces européennes, les forces françaises, les forces internationales - puisqu’il y a 12.000 soldats envoyés par les Nations unies - aujourd’hui font face, progressivement, à des mesures d’entrave. La dernière étant le refus par la junte de voir les Danois arriver, ce sont des forces spéciales danoises qui étaient destinées à seconder les forces armées maliennes dans la lutte contre le terrorisme.

Q - Il y a d’autres pays qui vont se désengager ?

R - Pour l’instant, ce que je peux vous dire, c’est que vue cette situation, vue la rupture du cadre politique et vue la rupture du cadre militaire, nous ne pouvons pas rester en l’état. Et donc, nous avons engagé…

Q - Cela veut dire quoi ?

R - Des concertations, nous avons engagé des concertations avec l’ensemble des pas de la coalition. Vous savez, nous sommes dans une coalition.

Q - Mais il faut rester ou pas là-bas ?

R - On ne peut pas rester comme cela. Et donc, il faut tenir compte maintenant des nouveaux événements qui viennent de se produire. Ce n’est pas uniquement une décision française, c’est une décision collective, et nous avons engagé là, dès à présent, des discussions et avec nos partenaires africains, et avec nos partenaires européens, pour savoir comment on peut adapter notre dispositif en fonction de la nouvelle situation et de la fuite en avant de la junte pour continuer à combattre le terrorisme, Parce que le sujet c’est quand même Daech et Al-Qaïda.

Q - Tout à fait, Daech et Al-Qaïda qui maintiennent leurs positions, qui se renouvellent…

R - Et c’est notre propre sécurité.

Q - Le Mali, c’est quand même d’abord un pays qui nous a appelé à l’aide, qui après organise des manifestations, régulièrement, anti-françaises, dont on se demande si elles ne sont pas instrumentalisées là-aussi par les Russes, qui fait appel - vous le disiez - à des mercenaires russes proches de Poutine. Est-ce qu’il n’est pas temps de se défaire de cette relation avec le Mali ? Est-ce qu’on n’est pas enfermés dans des vieilles histoires néocoloniales ?

R - Non, il faut poursuivre le combat contre le terrorisme, parce que le sujet est celui-là…

Q - Mais depuis là-bas ?

R - Parce que le terrorisme est présent, il s’est diffusé dans toute la région. Il n’est pas uniquement présent au Mali, il est présent dans d’autres pays voisins, y compris d’ailleurs maintenant dans les pays du golfe de Guinée. Donc, il faut nous organiser pour continuer à combattre le terrorisme, avec tous ceux qui veulent bien le combattre avec nous, parce que c’est aussi notre propre sécurité.

Et puis sur le Mali, dans l’état actuel des choses, il est clair que la situation, en l’état, ne peut pas perdurer. Donc il faut qu’on s’adapte à la nouvelle situation, nous y travaillons en ce moment.

Q - Un colonel de la junte a appelé la ministre de la défense, Florence Parly, à se taire. Elle avait accusé la junte de provocations.

R - Je trouve que c’est indigne et c’est révélateur de la dérive de la junte. C’est indigne parce que Mme Parly est la ministre des armées de la République française, de cette même République qui a mobilisé ses propres soldats pour aller permettre au Mali de garder sa liberté, sa souveraineté. Il y a eu des morts français pour la liberté du Mali. Se faire traiter comme cela par des responsables maliens est vraiment indigne.

Q - Jean-Yves Le Drian, est-ce qu’on a des nouvelles de l’otage Olivier Dubois, le journaliste détenu au Sahel depuis plus de 300 jours ?

R - Vous savez, concernant les otages, cela fait plusieurs années que je suis des situations difficiles de ce type, et la meilleure réponse, c’est le silence.

Q - Et alors cela ne concerne pas le Sahel mais l’Iran où est emprisonné Benjamin Brière depuis 18 mois, condamné pour espionnage à 8 ans de prison, condamnation inacceptable avez-vous dit.

R - Oui c’est…

Q - On a une chance de le faire sortir de prison ?

R - Nous faisons pression auprès des autorités iraniennes. Le Président de la République va s’entretenir avec le Président Raïssi de ce sujet pour faire en sorte que les otages, il faut appeler les choses comme cela, qui sont retenus en Iran - je pense à M. Brière et à Mme Adelkhah - soient libérés comme signe de bonne volonté et d’action en commun. Il faut faire pression sur l’Iran pour que nos ressortissants soient relâchés./.

publié le 04/02/2022

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