Coller au sol la pollution dans les rues de Londres
Boris Johnson, le maire de Londres, s’est lancé dans une série d’expérimentations pour le moins controversées afin de réduire la pollution dans les rues de sa ville.
Depuis quelques mois, des camions parcourent les zones les plus polluées en dispersant une solution adhésive à base de calcium afin de clouer au sol les fines particules émises par les voitures. Cette flotte de trois camions se déploie entre minuit et six heures du matin sur environ 30 km de rues, près de Victoria, Earls’ Court ou encore Marylebone, et commence par nettoyer au jet d’eau la chaussée. Ensuite, des véhicules spécialement modifiés dispersent cette solution collante sous la forme d’un fin nuage de gouttelettes, un peu comme le font les dégivreurs dans les aéroports. Une fois lancé, ce nuage est à peine visible et les fines gouttes vont piéger les particules dites PM10 avant de les entraîner par gravité vers le sol. C’est une méthode très similaire à celle utilisée en cas d’accident nucléaire pour limiter la dispersion des poussières radioactives.
Ces fines particules, PM10, sont émises par les pots d’échappement, mais aussi par les pneus et par les disques de frein. Elles sont à l’origine de nombreux problèmes de santé comme l’asthme, les maladies cardio-vasculaires, des cancers des poumons, ainsi que de nombreux décès prématurés chez les personnes les plus fragiles.
C’est face à ce problème de santé public et à un record de pollution depuis 2003 atteint un peu plus tôt dans l’année, que Boris Johnson a décidé de passer aux grands moyens. En effet, la ville de Londres est en infraction avec les réglementations européennes et risque des amendes de 300 M euros. Ce qui pourrait arriver si le nombre de jours où la qualité de l’air, qualifiée de "mauvaise", dépasse 35 en 2012. Et puis, il s’agit aussi de ne pas ternir l’image des jeux olympiques qui sont annoncés comme les plus "verts" et "durables" [1]. Le maire de Londres et Transport for London (TfL, l’opérateur public en charge des transports dans la capitale : métro, bus, vélos, etc.) applaudissent les résultats déjà obtenus, avec une réduction observée du taux de particules de 14% dans les rues traitées.
Pour le directeur des opérations de TfL, Garrett Emmerson, ce schéma s’inscrit dans toute une série de mesures de long terme, destinées à combattre ce problème de pollution : introduire de nouveaux véhicules à basse émission de particules, déployer des bus plus propres, retirer les taxis les plus sales de la circulation, ou encore durcir les standards de pollution en accord avec le ministère des transports. Londres investit également dans des infrastructures passives comme des murs le long des voies rapides qui fixent les polluants, ainsi qu’en plantant des arbres.
Cependant, tout le monde ne soutient pas inconditionnellement cette approche au problème de la pollution des villes, en pointant tout d’abord son coût : près d’un million de livres ont déjà été investies dans ce projet. Ce qui fait qualifier cette technique de "gâchis d’argent public" par le professeur Frank Kelly de King’s College London, un expert en santé et pollution, qui précise que cette méthode n’agit pas sur la source du problème : "une fois que vous arrêtez l’aspersion, le problème revient". Il considère même qu’il s’agit pour le maire d’une façon de cacher ces hauts niveaux de pollution à l’Union Européenne. De fait, comme le souligne la Parti vert, il est curieux que la station de référence mesurant les niveaux de particules pour la Commission européenne soit justement située sur l’une des rues traitées. D’une manière plus générale, la pollution est un problème dans toutes les rues de la ville, et non pas seulement sur les 30 km traités.
Interpelé au sein de l’Assemblée de Londres, le maire a éludé la question, rappelant qu’une fois les particules collées à la chaussée, elles ne peuvent plus être inhalées ou ingérées ("à moins que vous ne vous mettiez à quatre pattes et la renifliez", sic), et qu’il s’agit d’un moyen comme un autre de réduire la pollution.
Si le problème de la pollution de l’air ne sera sans doute pas aussi critique que lors des derniers jeux olympiques de Pékin (le gouvernement chinois avait pris des mesures drastiques en interdisant la circulation des véhicules), il est certain que l’utilisation de techniques visant à coller les particules au sol, montre que la ville de Londres prend très au sérieux ce problème, tout en soulignant également l’incapacité de la mairie à traiter le problème à la racine.
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1. Voir article dans cette newsletter, "L’ingénierie d’un parc olympique durable"
Sources :
BBC, 18/11/2011, www.bbc.co.uk/news/uk-politics-15762967
Auteur : Olivier Gloaguen