Conclusions d’une troisième enquête indépendante sur l’affaire du "Climategate"
Une commission d’enquête mandatée par l’Université d’East Anglia a publié le 7 juillet 2010 son rapport final sur le "Climategate". Comme les précédentes, elle ne met pas en cause l’honnêteté et la rigueur des scientifiques concernés mais les accuse d’un manque d’ouverture dans la diffusion d’informations. Le rapport pointe également la responsabilité de l’université et de ses dirigeants et présente des recommandations pour éviter, à l’avenir, de mettre en péril la crédibilité de l’université et celle de l’ensemble de la climatologie britannique.
L’affaire remonte à novembre 2009 lorsque, trois semaines avant l’ouverture de la conférence de Copenhague sur le changement climatique, un grand nombre de courriels et d’autres documents issus du piratage du réseau informatique du Climatic Research Unit (CRU, unité de recherche climatique) de l’Université d’East Anglia (UEA) furent rendus publics. Ces échanges entre des scientifiques du monde entier et leurs collègues du CRU ont ouvert la voie à des critiques, certains y voyant des preuves que des données avaient été manipulées, voire supprimées, pour appuyer la thèse du réchauffement climatique d’origine anthropique. De plus, on suspectait les chercheurs de s’efforcer d’empêcher l’accès à certaines informations et d’entraver la parution de publications affichant un point de vue différent du leur sur le changement climatique. La date à laquelle ont été dévoilés ces courriels et documents et l’interprétation qui en était faite visaient à perturber le processus de négociation en instillant le doute sur la thèse du réchauffement climatique causé par les activités humaines.
Au Royaume-Uni, plusieurs enquêtes ont été lancées dans le but de vérifier la pertinence de ces accusations, et une enquête de police sur le piratage de ces courriels est toujours en cours. Ainsi, un rapport du comité scientifique et technologique de la Chambre des Communes concluait en mars dernier que si la réputation scientifique des membres du CRU n’était pas en cause, l’accès que les chercheurs du groupe avaient laissé aux données utilisées dans leurs travaux posait néanmoins problème. En avril 2010, une seconde commission d’enquête dirigée par Lord Oxburgh - ex-président du comité scientifique et technologique de la Chambre des Lords - était chargée d’examiner les publications scientifiques du CRU. Elle n’allait y déceler aucune preuve de manipulation délibérée.
Enfin, le rapport d’une commission d’enquête indépendante mise en place par l’UEA a été publié le 7 juillet 2010. Sous la direction de Sir Muir Russell, ancien Vice-Chancelier de l’Université de Glasgow, le groupe de travail s’est attaché à étudier les pratiques au sein du CRU, notamment vis-à-vis des règlements de l’UEA et de la loi britannique sur la liberté d’information (Freedom of Information Act, 2000), ainsi que les échanges de courriels et de documents rendus publics. En revanche, les résultats scientifiques du CRU, ou de la climatologie elle-même, ne faisaient pas l’objet de l’enquête.
Les membres de la commission sont arrivés aux conclusions suivantes :
la rigueur et l’intégrité des scientifiques du CRU ne sont pas en doute et sont compatibles avec la conduite des recherches dans le domaine sensible de la climatologie ;
de plus, les informations fournies aux décideurs politiques n’ont pas été faussées par le comportement des membres du CRU. Les conclusions de l’IPCC (Intergovernmental Panel On Climate Change, connu en France sous le nom de GIEC pour groupe d’experts inergouvernemental sur l’évolution du climat) sur le changement climatique ne doivent donc pas être remises en cause ;
cependant, l’UEA et les scientifiques du CRU ont, de manière récurrente, fait preuve d’un manque d’ouverture préjudiciable à la crédibilité de l’université et à celle de toute la climatologie britannique. En particulier, l’esprit du Freedom of Information Act et les règles concernant les informations relatives à l’environnement (Environmental Information Regulations, 2004) n’auraient pas été respectés lors des réponses aux demandes qui leur étaient adressées. De son côté, l’UEA est critiquée pour sa mise en oeuvre des procédures nécessaires pour assurer la conformité vis-à-vis de ces deux règlements.
En s’appuyant sur ces conclusions, la commission a formulé plusieurs recommandations à l’adresse de l’UEA. En premier lieu, l’implication de ses dirigeants dans les domaines mettant en jeu sa crédibilité doit pouvoir être assurée de manière plus satisfaisante. Par ailleurs, l’université et son Vice-Chancelier sont les garants de la conformité avec le Freedom of Information Act et les Environmental Information Regulations. Ils doivent donc avoir la main sur les systèmes de demandes d’informations. Enfin, les membres du CRU devraient, en parallèle de leurs publications, diffuser des données suffisantes pour permettre à d’autres de reproduire leurs travaux.
La réaction de l’UEA a été d’accepter les conclusions du rapport et d’annoncer, par la voix de son Vice-Chancelier Edward Acton, des efforts en vue de développer une culture d’ouverture et de transparence au sein du CRU ainsi qu’une meilleure intégration du groupe de recherche dans la faculté de sciences environnementales de l’UEA. En outre, le professeur Phil Jones, qui dirigeait le CRU avant le "Climategate", sera rétabli dans ses fonctions (il avait démissionné en décembre 2009) après qu’il ait été disculpé de tout comportement répréhensible par cette dernière enquête.
La publication du rapport de la commission dirigée par Sir Muir Russell clôt la série d’enquêtes indépendantes visant à éclairer l’affaire qui a pris le nom de "Climategate". Les résultats de chacune sont finalement assez cohérents, soulignant des problèmes de communication et de transmission d’informations tout en niant la manipulation de données et l’invalidité des résultats des travaux du CRU. L’affaire n’est toutefois pas encore classée. D’une part, il faut désormais s’attacher à mesurer l’impact qu’elle a pu avoir sur les négociations de Copenhague et celui qu’elle aura sur l’opinion publique britannique par rapport à la climatologie et à la thèse du réchauffement climatique. Il n’est pas facile de discerner le rôle de l’hiver excessivement froid au Royaume-Uni de celui du "Climategate" dans l’augmentation récente du nombre de sceptiques par rapport au réchauffement climatique. Sur ce point, de nouvelles informations diffusées par le Met Office et allant dans le sens d’un indéniable réchauffement climatique devraient aider à convaincre un peu plus le grand public. D’autre part, l’enquête de police menée par la police du Norfolk afin de découvrir comment et par qui les documents informatiques ont pu être piratés devrait permettre d’en savoir plus sur le ou les commanditaire(s) et les buts réels
poursuivis.
Sources :
The Guardian, 01/08/2010, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/zKTFb
The Guardian, 08/07/2010, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/QmHXT
Met Office, 28/07/2010, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Qt7K3
The Independent Climate Change email Review, http://www.ccereview.org/pdf/FINAL%20REPORT.pdf
Auteur : Joël Constant