Du carbone dans la ville

Si le rôle bénéfique des arbres dans la ville est reconnu depuis longtemps (amélioration de l’environnement, réduction de la pollution, ou encore atténuation du phénomène d’îlot de chaleur urbain), une nouvelle dimension a été ajoutée par une équipe de chercheurs britanniques menée par Dr Zoe Davis de l’Université du Kent. En étudiant la ville de Leicester (au centre de l’Angleterre, près de 300.000 habitants répartis sur un espace de 73 km2) à l’aide de données satellites et de mesures sur le terrain, les scientifiques se sont rendus compte que 231.000 t de carbone sont stockées par la végétation urbaine, soit 3,16 kg/m2, bien plus que les estimations réalisées jusqu’à maintenant ne le laissaient penser.

Cette étude, publiée mi-juillet dans le Journal of Applied Ecology (édité par la British Ecological Society), s’est penchée sur toutes les formes de végétation que l’on peut rencontrer à Leicester : espaces verts publics, parcs gérés par la ville, jardins privés, terrains de golf, terrains industriels en friche, bords des routes ou encore berges de la rivière. Dans un premier temps, les chercheurs ont cartographié et catégorisé les différents types de végétation puis ont généré une série d’échantillons représentatifs de ces catégories couvrant typiquement des surfaces de 25 m2. En octobre 2009, à la fin de la saison de croissance de la végétation, les scientifiques ont alors déterminé la quantité de carbone contenue dans chacune de ces surface-échantillons, soit par des mesures physiques directes, soit, pour les arbres, à l’aide de modèles mathématiques issus de la littérature.

Si les jardins privés ne piègent que 0,76 kg de carbone par mètre carré, à peine plus que les pelouses ou les prairies (0,14 kg/m2), il apparaît que les arbres, et particulièrement les plus grands, constituent le principal puits de carbone, contenant jusqu’à 97% de la quantité totale de carbone stockée dans la végétation urbaine, soit 28,86 kg/m2 pour les espaces publics à couvert forestier. Les auteurs remarquent d’ailleurs que la majorité de l’espace public de Leicester est constitué de prairies et pelouses, et que si seulement 10% de cette surface était plantée d’arbres, la capacité de stockage de carbone de l’ensemble de la ville augmenterait de 12%.

Alors qu’au cours du siècle dernier la population mondiale a été multipliée par dix et que désormais plus de la moitié des humains vit en ville, l’urbanisation constitue un facteur majeur de changement dans l’utilisation du territoire. Cependant, très peu de tentatives avaient été réalisées pour quantifier précisément l’influence des écosystèmes en termes de stockage de carbone à l’échelle d’une ville européenne. Si certaines recherches ont été menées pour les villes d’Amérique du Nord, leurs résultats en termes d’évaluation de la quantité de carbone stockée ne peuvent être extrapolés pour les zones urbaines d’Europe du nord et de l’ouest car les schémas d’urbanisation sont trop différents. En réalité, il est communément admis qu’une fois urbanisé, un territoire possède une valeur écologique très faible à cause des profondes modifications causées par l’Homme et de sa taille relativement limitée. Au Royaume-Uni, la densité biologique carbone d’une zone urbanisée est même généralement considérée comme étant tout simplement nulle.

L’équipe de chercheurs a démontré qu’au contraire, la végétation urbaine doit être prise en compte dans l’estimation des différents réservoirs de carbone du pays. Ainsi, si la ville de Leicester ne représente que 0,03% de la superficie de la Grande-Bretagne, le réservoir de carbone de la ville compte pour 0,2% de l’ensemble du carbone stocké en surface dans le pays. De plus, elle souligne l’importance de protéger les zones urbaines boisées existantes et de planter de nouveaux arbres (afin d’assurer la pérennité du réservoir de carbone), à condition de choisir les bonnes essences et de les positionner aux bons endroits afin d’assurer leur croissance optimale et donc leur efficacité à stocker le carbone.

Cette étude fait partie d’un programme de recherche doté de 2,5 M£ (financé par le Engineering and Physical Sciences Research Council- Conseil pour la Recherche en Ingénierie et en Sciences Physiques, EPSRC) qui vise à évaluer l’empreinte carbone des villes.

De son côté, la commission forestière du Royaume-Uni (UK Forestry Commission) a publié fin juillet une série de directives pour encadrer les projets de plantations d’arbres destinés à absorber du carbone. Ce code (Woodland Carbon Code) établit des standards nationaux qui devraient permettre aux investisseurs désireux de contribuer au développement de zones boisées comme puits de carbone, de déterminer avec plus de transparence et de clarté quelle quantité de carbone sera mise en jeu. Ce document, publié en même temps qu’une autre série de recommandations de la part du ministère pour l’Environnement, l’Alimentation et les Affaires rurales (Department for Environment, Food and Rural Affairs, DEFRA), "Guidance on reporting greenhouse gas removals and emissions from domestic woodland creation", a fait l’objet d’un accueil mitigé de la part des associations environnementales qui, tout en reconnaissant le rôle que peuvent jouer les arbres comme puits de carbone et l’importance d’établir des règles, soulignent qu’il faut faire attention à ce que cette méthode ne devienne pas une solution rapide et à bas coût de réduction des émissions de carbone (en particulier pour les entreprises cherchant à réduire leur empreinte carbone et ainsi améliorer leur image).

Enfin, une étude publiée le 14 août dernier dans Nature Climate Change par des chercheurs du Centre for Ecology ad Hydrology de l’université de Cambridge, est venue remettre en question la capacité de séquestration du carbone par les arbres des forêts tropicales, alors qu’il était communément admis que ces forêts pouvaient jouer un rôle clef dans la régulation du carbone atmosphérique. En effet, l’augmentation de la concentration de carbone, résultat des émissions humaines, était supposée favoriser la croissance des arbres et donc accroître la capacité de stockage des forêts tropicales, qui devaient ainsi jouer un rôle de régulation du CO2 atmosphérique. Cependant, cette étude démontre qu’une part non négligeable de ce carbone pourrait ne pas être stockée durablement. Une quantité plus importante de feuilles mortes stimulerait l’activité microbienne du sol, qui à son tour conduirait à la libération d’une plus grande quantité de carbone, peut-être au point de dépasser l’augmentation des capacités de séquestration de carbone estimées pour la biomasse. Cette nouvelle étude illustre les incertitudes qui demeurent quant à la détermination exacte du rôle joué par la biomasse comme puits de carbone, du fait de la très grande complexité des phénomènes mis en jeu et la difficulté à appréhender l’ensemble des interactions qui interviennent dans ces processus.

Les données recueillies par cette étude de l’université du Kent sont particulièrement intéressantes car elles quantifient le stockage de carbone lié à la végétation dans une zone urbaine typique de l’Europe de l’Ouest. En effet, alors que le gouvernement britannique a établi des objectifs drastiques en termes de réduction des émissions de GES (arriver en 2050 à des émissions réduites de 80% par rapport au niveau de 1990), la végétation urbaine peut constituer un réservoir de carbone non négligeable, tout particulièrement si les espaces verts sont bien gérés. Cela démontre que même les villes européennes densément urbanisées et les communautés locales sont appelées à jouer un certain rôle dans la lutte pour la réduction des GES, et plus particulièrement du CO2.

A travers leurs politiques locales de gestion des espaces verts, une bonne évaluation et cartographie des espaces disponibles pour la plantation d’arbres et une gestion adaptée de la végétation existante, les villes disposent de réels leviers d’action. Il faut néanmoins garder à l’esprit que de telles mesures ne doivent pas servir de solution de facilité (planter des arbres peut sembler être un moyen simple pour créer des puits de carbone), mais doivent s’inscrire dans une lutte plus large de réduction des émissions de carbone à tous les niveaux de l’économie.

Enfin, comme le souligne l’étude réalisée à l’université de Cambridge sur les forêts tropicales, il reste de très nombreuses incertitudes quant à l’évaluation du rôle global que peuvent jouer les forêts dans la séquestration du carbone atmosphérique, du fait de la très grande complexité des phénomènes impliqués.


Sources :
- BBC - 12/07/11 - http://www.bbc.co.uk/news/science-environment-14121360
- Université du Kent, Communiqué de presse - 12/07/11 - http://bit.ly/poq54W
- British Ecological Society (BES) - 12/07/11- http://redirectix.bulletins-electroniques.com/750Rh
- Zoe G. Davies et al (2011), "Mapping an urban ecosystem service : quantifying above-ground carbon storage at a city-wide scale", Journal of Applied Ecology - 11/07/2011 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/i4iUd
- Code Carbone Forestier - http://www.forestry.gov.uk/forestry/INFD-863FFL
- Université de Cambridge sur la forêt tropicale - 16/08/11 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Vsap1


Auteur : Olivier Gloaguen

publié le 23/09/2011

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