Des nouvelles contradictoires sur le front de l’énergie décarbonée au Royaume-Uni
Ce début d’année a vu une série de nouvelles assez contradictoires dans le domaine des énergies décarbonées au Royaume-Uni. Ces sources d’énergie sont au coeur de la stratégie du gouvernement britannique pour transformer le système énergétique du pays et respecter son objectif très ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80% d’ici 2050 [1]. Le gouvernement cherche ainsi à déve∆lopper massivement les énergies renouvelables (au premier rang desquelles l’éolien en mer, ainsi que les biocarburants, la biomasse et les énergies marines - marées et vagues) et construire de nouvelles centrales électronucléaires pour remplacer un parc vieillissant. Dans un contexte économique difficile, ces investissements font partie intégrante des efforts pour sortir de la crise.
EPR au Royaume-Uni : accords signés entre Areva, EDF et Rolls-Royce
Lors du sommet franco-britannique qui s’est tenu à Paris le 17 février, entre le Président Nicolas Sarkozy et le Premier ministre David Cameron, plusieurs protocoles d’accord ont été conclus entre Areva et le motoriste britannique Rolls Royce, marquant une nouvelle étape dans les projets de déve∆loppement nucléaire d’EDF. Portant sur les deux premiers réacteurs EPR (European pressurized reactor, Réacteur pressurisé européen) qu’EDF veut construire à Hinkley Point dans le sud-ouest de l’Angleterre, ces accords vont étendre la coopération amorcée entre les industriels français et britanniques. Rolls-Royce devrait ainsi se charger de la fabrication de composants complexes et fournira des services, pour un montant d’environ 400 millions de livres.
Dans une déclaration conjointe, la France et le Royaume-Uni ont réaffirmé la nécessité de développer la filière nucléaire en parallèle des énergies renouvelables. Dans l’enseignement et la formation, pour mieux répondre ensemble à la demande croissante en main-d’oeuvre qualifiée et développer l’expertise, EDF Energy et Bridgwater College ont signé un accord pour créer un centre de formation de référence mon∆diale, et l’Institut International de l’Energie Nucléaire (I2EN) et la National Skills Academy for Nuclear (NSAN) vont soutenir et promouvoir "un enseignement et une formation professionnelle de qualité". En matière de recherche et développement, le CEA et le National Nuclear Laboratory (NNL) se sont engagés à préparer des prises de position commune et concevoir des programmes conjoints de recherche, tandis qu’une série d’accords ont été signés entre le CEA et la société AMEC (Energy Consultancy and Project Management Services), d’une part, et entre le CEA et Rolls-Royce, d’autre part dans le cadre du développement du prototype de réacteur de qua∆trième génération ASTRID.
En juillet denier, les autorités locales de Hinkley Point ont accordé le permis de construire pour les premières étapes de préparation du site du chantier de la future centrale nucléaire.
Pour le Parlement, il existe un vrai potentiel dans les énergies marines, sous réserves...
La Commission pour l’énergie et le changement climatique de la Chambre des communes a publié, le 19 février, un rapport sur le futur des énergies marines renouvelables, c’est-à-dire générées par les vagues et les marées. Le potentiel de ces ressources est très important au Royaume-Uni : jusqu’à 20% de l’électricité pourrait provenir de ces sources. Comme le souligne la commission, le pays bénéficierait énormément du développement d’une industrie des énergies marines : exportation d’équipements et de composants de haute techno∆logie, fourniture de services spécialisés, ou encore d’expertise.
Cependant, les parlementaires avertissent que l’approche prise par le gouvernement pour développer ce secteur, a été jusque là "excessivement prudente", compromettant le bon développement de cette filière. Ils précisent également que le Royaume-Uni pourrait perdre sa position de leader en ma∆tière de recherche face à des pays qui sont prêts à prendre des risques. Plusieurs obstacles sont identifiés : manque de con∆fiance des investisseurs, inconstance et incertitudes quant aux politiques de soutien, bureaucratie et complexité des méca∆nismes d’aide financière, partage insuffisant du risque public-privé, déficit d’investissements privés, amélioration nécessaire des connections au réseau électrique, ou encore besoin pressant de formation d’une main-d’oeuvre qualifiée.
Le rapport appelle à un soutien plus fort et plus engagé du gouvernement qui devrait ne pas hésiter à établir des objectifs ambitieux de déploiement des énergies marines renouvelables dans le cadre de ses objectifs pour 2020.
Un rapport qui jette le trouble sur l’éolien
Civitas, un think-tank britannique, a publié début jan∆vier une étude qui jette un pavé dans la mare, jusque là limpide, de l’énergie éolienne comme le meilleur moyen pour réduire les émissions de GES. L’éolien ne serait pas aussi vert et renouvelable que ses défenseurs le clament. En fait, d’après cette étude menée par l’économiste Ruth Lea, l’éolien serait "cher et inefficace" en termes de réduction des émissions de GES (par rapport au gaz ou au nucléaire). De plus, en cas de manque de vent, les éoliennes requièrent des capacités de production de "backup" (réserve), qui doivent être rapidement mobilisables et qui émettent des GES (centrales à gaz ou au charbon). Ces capacités supplémentaires mobilisent plutôt des centrales moyennement efficaces. Il peut alors arriver, comme aux Pays-Bas, qu’un jour de vent normal, l’utilisation des éoliennes "accroisse la consommation en gaz au lieu de la réduire" !
Du point de vue économique, Ruth Lea a estimé le coût des différentes sources d’électricité, à partir de rapports gouvernementaux, en incluant tous les coûts additionnels (connexion au réseau, maintenance, utilisation de sources alternatives pour palier le manque de vent...) souvent insuffisamment pris en compte. Elle obtient les chiffres suivants :
réacteurs nucléaires à eau pressurisée : 67,8 £/MWh ;
centrales à gaz à cycle combiné (CCGT) : 96,5 £/MWh ;
centrales CCGT avec capture et stockage du carbone (CSC) : 102,6 £/MWh ;
centrales à charbon avec CSC : 111,9 £/MWh ;
centrales à charbon avancées (dites ’supercritiques’) : 133,2 £/MWh ;
éolien à terre : 146,3 £/MWh (en incluant les coûts additionnels de 60 £/MWh) ;
éolien en mer : 179,4 £/MWh (en incluant les coûts additionnels de 67 £/MWh).
Cependant, il faut noter que ce rapport, s’il a le mérite de remettre en question des hypothèses peut-être un peu trop tenues pour garanties, n’a pas été soumis à l’évaluation des pairs et utilise principalement deux études, l’une d’un consultant (Mott MacDonald) et l’autre d’un physicien à la retraite, Kees Le Pair (Pays-Bas). Des journalistes ayant analysé ces rapports soulignent que leurs auteurs sont connus pour être anti-éolien.
Les défenseurs de l’énergie éolienne ont évidement vivement réagi, rappelant que les coûts ne cessent de diminuer au fur et à mesure de l’amélioration des technologies employées, tandis que les interconnections qui pourraient s’établir entre les pays de la mer du Nord au cours des prochaines décennies auront un rôle non négligeable pour rentabiliser l’emploi des éoliennes (ce que le rapport semble sous-estimer). Enfin, les chiffres avancés par Civitas pour le calcul des surcoûts liés à l’intermittence sont remis en question, et si le coût du carbone est inclus, les éoliennes pourraient être tout à fait compétitives par rapport aux centrales à charbon ou à gaz.
Alors que le gouvernement mise fortement sur le déve∆loppement de l’éolien en mer (avec le déploiement dans les prochaines années de très grands parcs en mer à plusieurs dizaines de kilomètres au large), ce rapport a certainement ravivé le débat entre anti et pro-éolien. Mais il ne changera sans doute rien à la politique gouvernementale, qui cherche avant tout à assurer la sécurité énergétique du pays par la diversification du mix et la réduction de la dépendance aux énergies fossiles.
Pour en savoir plus :
[1] Voir : Science et Technologie au Royaume-Uni, novembre-décembre 2011, n°60, Le Royaume-Uni réaffirme son engagement vers une économie verte, http://www.ambafranceÆ-uk.org/Le-Royaume-Uni-reaffirme-son et Science et Technologie au Royaume-Uni, juillet-août 2011, n° 58, Cap sur une alimentation sécurisée en électricité bon marché dé-carbonée : "Entre coupures de courant et investissements, il est temps de choisir !", http://www.ambafrance-uk.org/Cap-sur-une-alimentation-securisee
Sources :
Ruth Lea, Electricity Costs : the folly of wind-power, CIVITAS, 9/01/2012, http://www.civitas.org.uk/economy/electricitycosts2012.pdf
CIVITAS, Energy experts warn that unwarranted support for wind-power is hindering genuinely cleaner energy, 09/01/2012, http://www.civitas.org.uk/press/prleaelectricityprices.htm
House of Commons, Energy and Climate Change Committee, The Future of Marine Renewables in the UK - Energy and Climate Change, 19/02/2012, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/swIUP
Prime Minister Office, UK-France declaration on energy, 17/02/2012, http://www.number10.gov.uk/news/declaration-on-energy/
EDF Energy, Press Release, 17/02/2012, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/8a6Wg
Leo Hickman, Are wind turbines increasing carbon emissions ?, 9/01/2012, The Guardian, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/7oxFA
Auteur : Olivier Gloaguen