La croissance démographique, un enjeu pour les sciences de l’ingénieur

L’Institution of Mechanical Engineers présente, dans un rapport publié le 12 janvier 2011, la croissance démographique comme l’un des grands défis du XXIe siècle. Cette association britannique de professionnels y décrit, par ailleurs, le rôle que les ingénieurs et leur savoir-faire peuvent avoir à jouer pour que les sociétés humaines puissent s’adapter à une population plus nombreuse.

La population mondiale a connu au cours des deux derniers siècles une croissance sans précédent : d’environ un milliard d’individus en 1800, elle est passée à 2,5 milliards en 1950, pour atteindre 6,9 milliards en 2010. Selon les modèles démographiques sur lesquels repose le travail de l’Institution of Mechanical Engineers, cette tendance devrait se poursuivre au cours du XXIe siècle jusqu’à une stabilisation à 9,5 milliards d’êtres humains sur la Terre. Conjuguée à d’autres facteurs, comme l’ampleur des déplacements de population vers les villes, les éventuels réfugiés climatiques et l’amélioration du niveau de vie dans les pays en développement, la croissance démographique exercera un poids et des contraintes de plus en plus importants sur la planète et les ressources naturelles qu’elle fournit. Dès lors, les risques sont grands de voir des populations souffrir de la faim, de la soif, voire de conflits causés par des utilisations concurrentes des ressources.

Le rapport préparé par cette société d’ingénieurs propose donc de montrer dans quelle mesure l’expertise et les compétences de cette corporation seront utiles à travers le monde pour prévenir les risques induits par la croissance démographique. Quatre défis fondamentaux sont identifiés par les auteurs du rapport comme ceux où les sciences de l’ingénieur ont un rôle important à jouer : l’alimentation, l’eau, l’urbanisation et l’énergie.

1. L’alimentation

Sous l’impulsion de la croissance démographique et d’un changement des habitudes alimentaires dans les pays en voie de développement, le problème posé par l’accès à la nourriture deviendra encore plus prononcé qu’aujourd’hui, où plus d’un milliard de personnes souffrent de malnutrition. Les sciences de l’ingénieur, et la science en général, ont contribué par le passé à de conséquentes améliorations de la qualité et de la quantité de nourriture disponible. Il sera de nouveau nécessaire de se tourner vers elles pour satisfaire la demande en produits agricoles, qui devrait doubler d’ici à 2050, mais surtout pour faire en sorte d’améliorer l’accès à cette production pour les populations des pays du Sud.

Ainsi, l’utilisation de biotechnologies, la mécanisation et l’automatisation des cultures entraîneront l’augmentation des rendements agricoles. Une meilleure gestion logistique permettra d’améliorer l’efficacité des systèmes de distribution de nourriture, qu’il s’agisse de réduire les pertes lors du transport dans les pays du Sud, ou le gaspillage de denrées dans les pays du Nord. De plus, des espaces de cultures pourront être ménagés dans les villes grâce à un développement urbain raisonné, réduisant de cette manière autant que possible les problèmes liés au transport de la nourriture.

2. L’eau

La majorité de la consommation mondiale d’eau est le fait de l’agriculture (70%) et de l’industrie (20%). C’est pourquoi, de par le développement des cultures alimentaires évoqué plus haut et celui des industries des pays émergents, les besoins en eau seront amenés à augmenter fortement. Bien qu’il ne représente quantitativement qu’un faible volume, le défi le plus important reste bien sûr la satisfaction des besoins domestiques en eau (boisson, hygiène, etc.) pour tous les habitants de la planète. La demande globale en eau, tirée par ces trois modes de consommation, devrait augmenter de 30% d’ici à 2030. A l’échelle du monde, ce n’est pas le volume d’eau disponible qui pose problème, mais bien le fait que les ressources sont très inégalement réparties et qu’elles sont limitées dans certaines régions où la population devrait fortement augmenter. Les autres motifs de préoccupation sont la diminution des réserves d’eaux souterraines ou bien la pollution.

Les solutions technologiques que les ingénieurs peuvent apporter sont diverses. En règle générale, il s’agit de mettre en oeuvre des solutions adaptées aux conditions locales pour améliorer et étendre les infrastructures de gestion des eaux. Parmi les projets concrets évoqués par les auteurs du rapport, se trouvent l’installation de moyens de stockage des eaux issues des précipitations et le développement de réseaux d’eau non potable (eau de mer ou de pluie) pour des applications domestiques autres que la boisson. L’installation d’usines de dessalement d’eau de mer moins énergivores qu’aujourd’hui est également une des solutions que le savoir faire des ingénieurs servira à développer.

3. L’urbanisation

Selon les projections, les trois-quarts des 9,5 milliards d’êtres humains qui devraient peupler la Terre avant la fin du XXIe siècle vivront en zone urbaine. Cela induit, en particulier dans les pays en développement, des défis d’envergure à résoudre afin de loger, de manière durable, ces populations dans de bonnes conditions : les systèmes sanitaires, la gestion des déchets et des transports, ainsi que les réseaux de distribution d’énergie et de nourriture s’ajoutent aux problèmes de la maintenance et de la construction des bâtiments. Le changement climatique et les risques qu’il fait peser sur les villes exposées à la montée du niveau de la mer est également l’un des aspects à prendre en compte dans les développements urbains futurs.

Vu le peu de barrières technologiques existant dans ces domaines, le rôle des ingénieurs sera ici d’intervenir dans les processus de décisions et d’apporter leurs compétences dès les premières étapes des projets urbains pour que l’ensemble des technologies disponibles soient utilisées efficacement. Il leur faudra également être capable de fournir des solutions adaptées à la géographie locale et aux enjeux sociétaux des grandes villes en développement.

4. L’énergie

Dans le domaine de l’énergie, la croissance démographique mondiale pourrait entraîner une augmentation de la demande d’environ 46% d’ici à 2030. Les enjeux sont donc bien évidemment de générer assez d’énergie pour satisfaire cette demande et d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, mais aussi de le faire de manière à prendre en compte au maximum le paramètre de la lutte contre le changement climatique.

Les thématiques techniques associées sur lesquelles les sciences de l’ingénieur seront utiles sont la génération, la transmission, la distribution et le stockage de l’énergie. De nombreuses technologies déjà existantes pourront être utilisées à ces fins et d’autres devront continuer leur développement (centrales solaires à concentration, réacteurs nucléaires de quatrième génération, câbles de transmission à haute tension en courant continu occasionnant moins de pertes énergétiques, etc.). Dans certains cas, comme pour les communautés rurales des pays du Sud, où les coûts de raccordement à un réseau de distribution moderne seraient trop élevés, des installations de production d’énergie à échelle locale devront être envisagées. Par ailleurs, un aspect non négligeable sera d’oeuvrer à diminuer la demande en énergie à travers des solutions technologiques (isolation, techniques de gestion de l’énergie, etc.) et un changement du comportement des consommateurs.

En s’appuyant sur l’étude de ces quatre domaines clés, les auteurs du rapport constatent que faire vivre 9,5 milliards d’êtres humains sur la Terre en satisfaisant leurs besoins fondamentaux n’engendre pas d’obstacle technique insurmontable. Leurs principales conclusions se résument à trois recommandations :
- l’adoption par la communauté internationale d’objectifs de développements liés aux sciences de l’ingénieur ("Engineering Development Goals") pour faire suite aux objectifs du millénaire [1] ;
- la mise à disposition pour tous les pays et de leurs dirigeants de l’expertise des ingénieurs ;
- une aide aux pays du Sud pour soutenir leur développement tout en évitant les phases les plus consommatrices de ressources de l’industrialisation.

D’après le rapport de l’Institution of Mechanical Engineers, les sciences de l’ingénieur et ceux qui en font usage ont un rôle prépondérant à jouer dans le défi consistant à faire face à la croissance démographique sans précédent des années à venir. Il faudra cependant qu’une réelle volonté politique d’aider les pays en développement se manifeste, dans un monde où l’augmentation de la population et les contraintes résultantes sur les ressources naturelles affecteront tous les pays et leurs habitants.

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[1] Les objectifs du millénaire pour le développement ("Millenium Development Goals") sont huit objectifs adoptés par 189 états en 2000, censés être remplis en 2015. Ils concernent la pauvreté, la faim, l’éducation, la santé, etc.


Sources :
Rapport de l’Institution of Mechanical Engineers, 12/01/11, Population : One planet - too many people ?, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/gYKjL


Auteur : Joël Constant

publié le 21/03/2011

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