> La fusion nucléaire au Royaume-Uni : vers une nouvelle source d’énergie abondante et durable - mai 2007
Le 21 novembre 2006, l’Union Européenne, la Chine, les Etats-Unis, le Japon et la Russie ont signé à Paris le traité ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) dédié à la construction et à l’exploitation de la plus grande installation de fusion thermonucléaire capable de produire jusqu’à 500 MW pour un temps de réaction de dix minutes. Il s’agit a priori de la dernière phase expérimentale avant fabrication d’une centrale de fusion nucléaire pour la production d’énergie à échelle industrielle. L’objectif d’ITER est donc d’obtenir une source d’énergie quasi-inépuisable et peu polluante d’ici le milieu du XXIe siècle.
Une réaction de fusion intervient lorsque deux noyaux atomiques s’interpénètrent. Cependant, pour qu’une telle interpénétration puisse se produire, il est nécessaire que les noyaux surmontent la répulsion due à leurs charges électriques toutes deux positives. Ceci n’est possible que si les noyaux sont chauffés à une température de plusieurs dizaines, voire de centaines de millions de degrés. A cette température, la matière se trouve dans un nouvel état dans lequel les électrons se détachent complètement de leur noyau : le plasma.
Pour que la fusion soit énergétiquement rentable, il est nécessaire que l’énergie produite soit supérieure à l’énergie consommée pour l’entretien des réactions et par des pertes thermiques vers le milieu extérieur. Dans les réacteurs à fusion, il faut ainsi éviter tout contact entre le milieu de réaction et les matériaux de l’environnement, ce que l’on réalise par un confinement immatériel. Comme le plasma est constitué de particules chargées, on peut confiner leur trajectoire de déplacement à l’intérieur d’un tore (d’où l’utilisation d’un tokamak, du russe « TOroidalnaja KAmera MAgnetnaja Katuska » qui signifie « chambre toroïdale à confinement magnétique ») au moyen de champs magnétiques.
La recherche britannique dans le domaine de la fusion nucléaire a largement contribué au développement de cette technologie à travers un grand nombre de projets qui ont précédé ITER, mais également à travers son implication actuelle dans la création du futur réacteur de Cadarache. Cette recherche est organisée autour d’un organisme, la United Kingdom Atomic Energy Authority (UKAEA), spécialisé actuellement dans l’environnement des sites nucléaires et la R&D liée à la fusion, et de plusieurs départements de recherche d’universités britanniques s’intéressant à différents aspects de la réaction. Le département de l’UKAEA spécialisé dans la fusion est implanté au sein du Culham Science Centre situé en Oxfordshire, qui a déjà accueilli une série de projets pilotes britanniques (COMPASS-D, START, MAST) et hébergé des projets européens (JET, EASY-2005) pendant les dernières décennies.
1. UK Fusion Programme
L’ensemble des initiatives britanniques concernant la fusion s’organise dans le cadre du UK Fusion Programme. Ce programme découle directement du European Fusion Programme : de manière générale, il vise à prouver la faisabilité économique de la fusion nucléaire comme source de production d’électricité d’ici 30 ans ; il a également pour objectif d’aboutir à une expertise britannique dans le domaine de la fusion nucléaire. Ce programme implique l’ensemble des acteurs et projets pilotes cités précédemment. Il est chapeauté par l’Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC) qui finance la recherche sur la fusion via un fonds spécial de l’Office of Science and Innovation (OSI). En avril 2004, l’EPSRC a décidé de réinjecter un montant de 48 millions de livres (environ 75 millions d’euros) sur quatre ans dans ce programme, ainsi que plusieurs subventions de recherche. De plus, suite à la Spending Review de 2004, le gouvernement a dégagé 8,65 millions de livres (environ 13 millions d’euros) supplémentaires pour la recherche sur la fusion consacrée à JET et ITER.
Enfin la Fusion Advisory Board a été établie récemment afin de fournir des conseils stratégiques concernant le UK Fusion Programme et d’assurer la liaison entre le gouvernement, l’EPSRC, les départements de recherche sur la fusion et les industriels.
2. Les projets menés au Culham Science Centre
Compass-D (Compass Device)
Ce tokamak, qui n’est plus en activité à Culham, était au centre d’un programme d’expérimentation divisé entre trois thèmes : le contrôle des instabilités qui réduisent la capacité de confinement du plasma, la surveillance des impuretés (les impuretés dans le plasma en fin de réaction peuvent avoir une incidence sur l’efficacité du tokamak) et la recherche sur le « mode-H » (il s’agit du mode de fonctionnement correspondant à une valeur de puissance fournie pour laquelle on obtient un confinement magnétique optimal du plasma). Ce mode-H, bien que mal maîtrisé pour l’instant, est la solution qui devrait être retenue pour ITER.
Compass-D est un réacteur de petite taille puisqu’il ne mesure qu’un mètre de diamètre sur 0,6 m de hauteur et permet de créer des plasmas de moins de 400 kA d’intensité.
Joint European Torus (JET)
Parmi tous les travaux de fusion nucléaire réalisés au Royaume-Uni, le principal est JET, le plus grand réacteur expérimental de fusion nucléaire jamais conçu. Il est entré en service en 1983 au Culham Science Centre sous la responsabilité conjointe d’Euratom (Communauté européenne de l’énergie atomique) et de l’Union Européenne et est encore en activité. Depuis 1999, c’est l’UKAEA qui est responsable des opérations et de la sécurité concernant JET, pour le compte de ses partenaires européens. En novembre 1997, JET a réussi à générer une puissance de 16 MW durant une seconde, pour une puissance fournie au réacteur de 25 MW. Il s’agit là du record mondial actuel qui pourra sans doute être pulvérisé par ITER.
La particularité de JET réside dans son réservoir de combustible amovible. Cela est indispensable pour assurer plus facilement la maintenance et le nettoyage du réservoir imprégné de substances radioactives après un grand nombre d’expériences. Cela permet également de modifier à souhait la composition du mélange combustible, l’objectif étant d’atteindre la composition 50 % de deutérium et 50 % de tritium.
- Vue intérieure du réacteur JET à l’arrêt (à gauche) et en fonctionnement (à droite)
Source/crédit : EFDA/JET
petit rayon de la chambre toroïdale : 2,10 m ;
grand rayon de la chambre toroïdale : 2,96 m ;
matériaux des parois intérieures : matériau composite à fibre de carbone recouvert de béryllium ;
intensité du courant plasma : 3,2 MA ;
durée de vie du plasma : 20 à 60 secondes ;
rapport entre l’énergie récupérée après réaction et l’énergie fournie au réacteur : 0,7 ;
composition du combustible : 50 % de deutérium, 50 % de tritium.
L’objectif du projet JET est, entre autres choses, de fournir des données utilisables pour la conception des installations d’ITER à Cadarache (France). Il s’agit donc d’une étape importante dans le développement à long terme de centrales de fusion nucléaire pour usage commercial. L’utilisation conjointe du tokamak JET par plusieurs équipes de recherche de différents pays permet aussi d’améliorer la compréhension du comportement des plasmas. Enfin ce projet représente un moyen de déterminer les modes opératoires permettant une performance optimale du tokamak, ce qui pourra être réutilisé comme base de travail pour ITER.
Small Tight Aspect Ratio Tokamak (START)
En parallèle de l’expérience JET, des scénarios de technologies alternatives sont étudiées afin d’améliorer la faisabilité économique et technique de la fusion nucléaire à usage énergétique. Un des concepts analysés concerne la technologie des tokamaks sphériques (ST pour Spherical Tokamak) ; c’est ainsi qu’est né START en 1991 à Culham, co-financé par Euratom et le Ministère du commerce et de l’industrie (DTI pour Department for Trade and Industry), et opérationnel jusqu’en 1998. L’objectif majeur de START était de tester des ratios très faibles entre le grand rayon de la chambre torique du tokamak et son petit rayon (aspect ratio). A ce niveau, la forme du tokamak s’apparente fortement à une sphère, d’où son nom de tokamak sphérique. En effet, le projet START emploie une chambre torique de 2 m de diamètre et de 2 m de haut avec un aspect ratio de 1,25 (ratio le plus faible du monde lors de son lancement).
Selon les mesures obtenues par START, il existe un facteur dix entre le champ magnétique nécessaire au confinement du plasma dans un tokamak traditionnel et celui à appliquer à un tokamak sphérique comme START. Cela suppose donc une quantité réduite d’énergie à fournir au système pour assurer son fonctionnement normal. Dans le même temps, START a réussi à passer sans dommages de plasmas de 20 MA d’intensité à des plasmas de 300 MA d’intensité. De plus, l’installation de START a été utilisée comme banc d’essai pour la mise à niveau des systèmes d’injection de particules neutres à haute énergie. Cela se présente sous la forme d’un faisceau d’ions accélérés en dehors de la chambre torique, neutralisé puis injecté dans le plasma afin d’en élever rapidement la température jusqu’à plusieurs centaines de millions de degrés.
En juin 2004, le tokamak START a été transféré en Italie, à Frascati, pour une seconde vie en tant qu’appareil d’expérimentation pour la recherche italienne sur la fusion.
Mega-Ampere Spherical Tokamak (MAST)
Le projet MAST est une expérience menée depuis 1999 également à Culham. Il est le successeur direct de START stoppé l’année précédente. Il s’agit d’un projet conjoint Euratom/UKAEA. Cette fois, l’objectif de ce projet est de confirmer les bons résultats obtenus avec START sur une installation beaucoup plus grande, dont la dimension s’apparente plus aux futures centrales de production d’énergie. C’est aussi une expérience qui permet d’améliorer progressivement la connaissance britannique du fonctionnement des tokamaks.
un conduit central (centre rod) : il est constitué d’un empilement de 24 pièces conductrices en cuivre soudées entre elles contenant un orifice central pour le refroidissement des conducteurs ;
un solénoïde : il est enroulé autour du conduit central et permet de créer le champ magnétique nécessaire au confinement du plasma ;
un plateau de détournement (divertor plate) : c’est un plateau en graphite qui permet de rediriger le plasma pour son échappement en fin d’expérience ;
des joints glissants : ce sont des joints en cuivre qui établissent la connexion entre le conduit central et la structure horizontale ; ils permettent des mouvements de translation axiaux et radiaux ou encore de rotation autour du conduit central ;
des bobines à champ poloïdale (PF coils) : cinq paires de bobines permettent également le confinement du plasma et lui donnent sa forme sphérique ;
des structures de support des bobines : ces armatures transmettent les charges électromagnétiques induites dans les bobines vers le réservoir central ;
la coque du réacteur (vacuum vessel) : cette coque en acier inoxydable mesure 4 m de diamètre sur 4,4 m de hauteur et pèse 25 t.
EASY-2005 (European Activation System)
Le programme EASY-2005 est un projet européen de collection des standards, données et documents en physique nucléaire dans le but de calculer la réponse de matériaux irradiés par un flux de neutrons. Il est conçu pour examiner les systèmes de fusion nucléaire à venir qui pourront être soumis à des flux de neutrons d’énergie intense (14 MeV), ce qui causera l’activation des matériaux environnants. La majorité des documents collectés sont annoncés par des rapports de l’UKAEA qui représente l’instance principale de centralisation des données d’EASY-2005.
3. L’implication britannique dans le projet ITER et le transfert de technologies
Le Royaume-Uni, de par ses multiples projets passés et présents en fusion nucléaire cités précédemment, est en mesure d’occuper une place prépondérante dans le projet international ITER. L’implication britannique passe tout d’abord par l’UKAEA qui représente le lien privilégié entre le Conseil ITER, en charge de la gestion globale du programme, et l’industrie britannique.
C’est ainsi que l’UKAEA a dédié en 2006 un séminaire aux possibilités commerciales pour l’industrie britannique entraînées par la création et l’exploitation d’ITER (« ITER Business Opportunities for UK Industry »). Le Pr. Sir Chris Llewellyn-Smith, directeur du centre de Culham de l’UKAEA, annonçait lors de ce séminaire que « les entreprises britanniques, avec leurs compétences, leur niveau technologique et leur enthousiasme […] sont prêtes à jouer un rôle important dans la création d’ITER ». En fait, le Royaume-Uni devrait être au devant de la scène notamment pour les phases de diagnostic et la recherche sur les systèmes de chauffage du plasma. Les domaines du diagnostic par diffusion lidar (détection des imperfections au laser) ou des systèmes de chauffage du plasma par injection de particules neutres ou d’ions accélérés constituent des secteurs de forte compétence britannique (expériences réalisées via START, MAST et JET) qui pourront être exploités pour décrocher des contrats dans la création d’ITER.
En particulier, trois compagnies possédant déjà une expertise sur la question de la fusion nucléaire ont déjà été choisies par l’EFDA (European Fusion Development Agreement, l’agence ITER en Europe) pour participer à ITER, parmi lesquelles : AMEC-NNC, société de conseil en ingénierie qui travaille déjà sur la chambre torique, et Phoenix Inspection Systems, une PME spécialisée dans la fabrication d’équipements d’essais non-destructeurs qui s’occupe du système d’inspection du réacteur d’ITER.
4. La recherche sur la fusion nucléaire dans les universités britanniques
En marge de l’activité forte de l’UKAEA dans le domaine de la fusion nucléaire et du transfert de technologies vers ITER, les départements de recherche de certaines universités britanniques sont impliqués dans la recherche sur la fusion. Il s’agit de laboratoires concentrant leurs travaux dans les domaines de la recherche fondamentale en physique plasmatique - l’EPSRC avait lancé en 2006 une initiative pour renforcer l’expertise britannique sur ce sujet dans les universités - ou de la recherche appliquée pour la conception des tokamaks.
Les départements les plus connus, qui travaillent quasiment tous étroitement avec le Culham Science Centre dans ce domaine, sont les suivants :
- le Plasma Physics Research Group (PPRG, Imperial College London) : ce groupe de recherche travaille tout d’abord sur la technologie des tokamaks, depuis le fonctionnement en mode-H jusqu’aux systèmes de réchauffement du plasma ou d’échappement des plasmas en fin de réaction, mais aussi sur la théorie des tokamaks, avec par exemple les fluctuations liées aux effets de bord ; en second lieu, le PPRG travaille sur les plasmas contenant des grains de poussières (dust plasmas) et leur interaction avec les matériaux environnant ;
- le Centre for Fusion, Space and Astrophysics (CFSA, Université de Warwick) : ce groupe de recherche possède une expertise assez large sur le comportement des plasmas pour l’ensemble des applications que cela suppose ; ainsi le CFSA travaille actuellement sur le transport turbulent de chaleur dans les plasmas magnétisés, problématique qui joue grandement sur le rendement du réacteur à fusion nucléaire ;
- le Dalton Nuclear Institute (DNI, Université de Manchester) : au sein du DNI, il existe un groupe travaillant exclusivement dans le domaine de la fusion nucléaire à confinement magnétique ; il s’intéresse aux moyens de limitation des déperditions de chaleur aux bords du plasma, aux analyseurs de particules neutres et à l’érosion des matériaux constituant de la chambre torique due à la présence du plasma ;
- le Department of Physics (Université d’York) : les recherches de ce département se concentrent sur ce même thème du confinement magnétique des plasmas, à travers les problématiques des instabilités plasmatiques et les effets des champs électriques extrêmes sur l’émission des plasmas.
Enfin un grand projet débuté en 2004 et mené par le Pr. S.G. Roberts de l’Université d’Oxford réunit les universités de Cambridge, d’Edimbourg, de Liverpool, d’Oxford et Queen’s University Belfast autour de la thématique des propriétés des matériaux utilisés pour la fabrication des réacteurs à fusion nucléaire. Les matériaux retenus pour le moment comportent des aciers possédant une structure cristalline modifiée, des alliages de vanadium et du tungstène. Le projet combine modélisation multi-échelles du système et essais expérimentaux, afin de comprendre au mieux le comportement de ces matériaux.
Malgré la qualité des recherches britanniques et internationales sur la fusion nucléaire en vue d’en faire une source d’énergie abondante et durable, l’opinion publique britannique reste très réservée sur le sujet, car les premières applications commerciales ne devraient pas arriver avant 2040, alors que la menace du changement climatique existe déjà, nécessitant le développement de solutions énergétiques propres et rapides. Dans ce contexte, la concrétisation rapide des recherches passées (notamment au Culham Science Centre) nécessite la mobilisation au niveau international de tous les acteurs académiques, politiques, mais aussi industriels. C’est dans cette logique qu’a été lancé récemment ITER, dans lequel le Royaume-Uni a son rôle à jouer.
Auteur : Xavier THIERRY
Sources : UKAEA, Research, http://www.fusion.org.uk/index.html ; EPSRC, Funding for Researchers, http://www.epsrc.ac.uk ; Oxford University, Oxford Materials, http://fusion.materials.ox.ac.uk/index.html ; University of Warwick, centre for fusion, space and astrophysics, http://www2.warwick.ac.uk