Le fonds européen de défense est un "changement de paradigme", selon la France
Défense - Turquie/OTAN/Union européenne - Propos liminaires de Mme Florence Parly, ministre des armées, devant la sous-commission défense et sécurité du Parlement européen - Extraits
(Strasbourg, 2 juillet 2020)
(Seul le prononcé fait foi)
Au cours des trois dernières années, nous avons pu ainsi voir le contexte sécuritaire se dégrader fortement.
Je voudrais m’arrêter un moment sur le comportement très préoccupant de la Turquie. La France et la Turquie participent toutes deux à l’opération otanienne Sea Guardian de sûreté maritime en Méditerranée orientale, dont une des missions consiste à assurer la surveillance maritime contre les trafics. Cela, alors que les Nations unies ont imposé un embargo sur les livraisons d’armes à la Libye. Il y a quinze jours, alors qu’un navire français contrôlait un cargo suspect en provenance de Turquie, des frégates turques ont interféré et l’une d’entre elle a, comme on dit en langage militaire, illuminé le navire français avec son radar de conduite de tir. C’est un acte agressif et indigne d’un allié de l’OTAN.
Je l’ai donc dit très clairement lors de la dernière réunion ministérielle de l’OTAN. J’ai été soutenue par beaucoup de mes homologues européens et je les en remercie. Nous sommes censés être une alliance. Un allié qui viole consciencieusement les règles que l’Alliance est censée faire respecter et tente de menacer ceux qui l’interrogent, ce n’est pas acceptable. Nous avons donc formulé quatre demandes pour que ce type d’incidents ne se reproduise pas : une réaffirmation solennelle du respect de l’embargo ; un rejet catégorique de l’utilisation par la Turquie des indicatifs OTAN pour mener ses trafics ; une meilleure coopération entre UE et OTAN ; et des mécanismes de déconfliction. Dans l’attente de clarifications sur ces différents points, le Président de la République Française a pris la décision de retirer les moyens français consacrés à Sea Guardian et ceci, jusqu’à nouvel ordre.
(…)
L’Europe de la défense, c’est différent de l’idée d’une armée européenne. L’Europe de la défense, c’est pouvoir jouir d’une pleine liberté d’action européenne. C’est à dire être capable, lorsque nous en avons besoin et si nous le souhaitons d’agir ensemble.
(…)
La ressource, nous l’avons ; ce qu’il nous faut, c’est la convertir en moyens, et surtout, avoir la volonté d’utiliser ces moyens au service des intérêts et des valeurs de l’Europe. L’Europe ne peut pas et ne doit pas être un jeu de structures : elle doit devenir une entreprise de caractère, une force agissante.
Dans ce monde à la dent dure, nous devons nous donner les moyens de construire la liberté d’action européenne. Ces moyens, c’est notamment le Fonds européen de défense. Là aussi, il y a eu des progrès. Il y a quelques années, il était encore impensable que l’Europe injecte de l’argent dans le domaine de la défense. L’existence même du fonds européen de défense, c’est un changement de paradigme, c’est une révolution. Pour la première fois, des fonds européens seront consacrés au développement de notre BITD européenne. La Commission européenne avait proposé de le doter de 13 milliards d’euros sur la période 2021-2027. La présidence finlandaise voulait réduire cette proposition à 6,5 milliards. Je m’y suis fermement opposée, et nous nous sommes mobilisés avec plusieurs partenaires européens pour revoir ce montant à la hausse. Aujourd’hui, nous avons réussi à obtenir 9 milliards. Mon avis, c’est qu’il faudrait plus, c’est pourquoi la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ont écrit au Haut représentant et aux autres ministres de la Défense de l’Union européenne : nous avons besoin d’un FEDef ambitieux, et aujourd’hui plus que jamais.
(…)
Nous savons que pour protéger nos citoyens, nous avons grand besoin d’Europe. Et c’est plus qu’un besoin, c’est une chance qu’il faut saisir.
Je crois profondément à notre destin commun. Et j’espère qu’un jour s’engager pour son pays jusqu’à « mourir pour lui et pour l’Europe », ce n’est pas, comme le disait Milan Kundera une phrase qui ne pourra avoir du sens qu’à Varsovie ou à Budapest, mais qu’elle pourra aussi être prononcée à Paris, à Tallin, à Berlin, ou à Madrid.