Donner du sens à la science
Energie nucléaire, organismes génétiquement modifiés, changement climatique, nanotechnologies, expérimentation animale pour la recherche biomédicale... voilà quelques uns des domaines de la recherche scientifique qui ne sont dorénavant plus uniquement l’apanage des scientifiques. Au cours des dernières décennies, que ce soit en France, au Royaume-Uni ou ailleurs, le public a commencé à questionner certaines avancées scientifiques, tant pour des problèmes d’éthique associés soit à la santé humaine soit à la protection de notre environnement, qu’à cause d’un certain nombre de scandales qui ont remis en question la confiance que le public accorde aux recherches scientifiques (nous mentionnerons ici, et purement à titre d’exemple, l’affaire britannique du Climategate, qui a défrayé la chronique en 2010 suite à la diffusion, deux semaines avant le sommet de Copenhague, d’un ensemble de courriels et fichiers informatiques en provenance du centre de recherche climatique de l’Université d’East Anglia, remettant en cause de la déontologie professionnelle de certains membres du centre). L’approbation du public n’est par conséquent plus un fait acquis d’avance, et il y a une véritable prise de conscience de l’influence que le public peut avoir sur certaines décisions politiques.
L’intérêt et l’importance pour les gouvernements d’engager le public avec les avancées scientifiques, de communiquer, de vulgariser la recherche et d’améliorer les programmes de dialogue, n’est plus à démontrer. Les gouvernements britanniques successifs l’ont bien compris, et le Royaume-Uni a une politique de diffusion de la culture scientifique assez remarquable. Que ce soit par le biais des nombreuses sociétés savantes britanniques (Royal Society, Royal Institution, Royal Academy of Engineering, Foundation for Science and Technology...), des conseils pour la recherche (au nombre de sept et englobant l’ensemble des activités de recherche scientifique, sociale, humaine ainsi que les arts), du Parliamentary Office for Science and Technology (Office parlementaire pour la science et la technologie) ou encore, tout simplement, de la profusion de documentaires diffusés sur les chaînes de télévision publique, les britanniques disposent d’un large éventail d’outils mis à leur disposition pour développer leur culture scientifique et avoir une approche plus critique et informée de la recherche publique.
Nous avons récemment rencontré des membres d’une organisation caritative, Sense About Science, qui, comme son nom l’indique, a pour vocation de "donner du sens à la science". Alors qu’en 2001, les téléphones portables "grillant" nos cerveaux, les dangers du clonage et les expérimentations animales faisaient communément la une des journaux, il est apparu primordial que la place des scientifiques et surtout des preuves scientifiques, alors en marge des débats, soit réévaluée et recentrée au coeur des discussions. Lord Dick Taverne, membre de la House of Lords’ Animals in Scientific Procedures Committee (Comité pour l’application de procédures strictes dans le cadre de l’utilisation d’animaux dans la recherche scientifique) a décidé qu’il était temps de passer à l’action, et deux organisations caritatives ont vu le jour en 2002 : le Science Media Centre et Sense About Science.
Mission
Si le Science Media Centre a pour vocation de mettre en relation les scientifiques avec la presse nationale, la vocation de Sense About Science est de les mettre en contact avec la presse locale, les organisations, et surtout, le grand public. En travaillant de concert avec les scientifiques, Sense About Science a pour objectif de :
répondre aux inexactitudes des revendications publiques concernant la science, la médecine et la technologie ;
promouvoir les bénéfices de la recherche scientifique auprès du public ;
aider les personnes nécessitant une aide d’experts à contacter les scientifiques appropriés ;
informer les non-spécialistes au sujet des développements et pratiques scientifiques.
Sense About Science a développé un certain nombre d’outils, sous forme de publications et d’ateliers de travail, permettant d’équiper le grand public et de lui permettre de juger, en connaissance de cause, de la validité des informations scientifiques qui inondent les médias, que ce soit par le biais des journaux, de la radio ou de l’Internet, et dont le bien fondé n’est pas toujours bien établi. Nous développons ci-dessous certaines actions entreprises en ce sens par Sense About Science.
Organisation
Sense About Science est gouvernée par un conseil d’administration composé de 11 personnalités, principalement scientifiques, ayant des domaines d’expertise allant de la bioéthique à la génétique en passant par les risques naturels. Un comité consultatif de 36 personnes (scientifiques, consultants, avocats, éditeurs...) et plus de 2.000 scientifiques, de prix Nobel à chercheurs post-doctorants, enregistrés sur la base de données Evidence Base, soutiennent les sept membres permanents de Sense About Science.
Financement
Sense About Science est une organisation caritative indépendante financée majoritairement par des dons, individuels ou de fondations, des organisations scientifiques, des maisons d’édition, et l’industrie, les conseils de recherche (notamment l’Engineering and Physical Sciences Research Council et le Medical Research Council, respectivement les conseils de recherche pour l’ingénierie et les sciences physiques et celui pour la recherche médicale). Le budget pour l’année financière 2010 s’élevait à 278 554 £ et se répartissait comme indiqué sur la figure 1.
Actions
=> Publications
Sense About Science a publié au fil des années plusieurs rapports [1], écrits en collaboration avec un comité d’experts scientifiques, expliquant au grand public des domaines de recherche aussi divers et variés que les organismes génétiquement modifiés, les médecines alternatives, le changement climatique, la malaria ou les statistiques. Le rapport "Making sense of GM (genetically modified organisms)" a par exemple été élaboré grâce à un groupe de travail composé de plus de 40 chercheurs, de représentants du conseil de recherche pour les biotechnologies et les sciences biologiques (BBSRC, Biotechnology and Biological Sciences Research Council), des instituts de recherche et des membres du public, sans intérêt particulier pour la thématique, mais dont l’aide a été très précieuse pour rendre le rapport accessible au plus grand nombre.
Une publication qui a eu un grand succès et qui a nécessité une réédition, est celle intitulée "I don’t know what to believe...", expliquant le système d’évaluation de la recherche scientifique avant publication, ou peer review (révision par des pairs). Cette brochure, réalisée en partenariat avec et grâce au soutien de plusieurs organisations caritatives, sociétés savantes et maisons d’édition scientifique, explique au grand public comment faire la différence entre une information diffusée par un journal, une chaîne télévisée, ou sur Internet, et qui n’a pas forcément une source valable, et la recherche qui est publiée dans des journaux scientifiques à comité de lecture.
=> Ateliers de travail
Grâce au soutien financier de sociétés savantes et de maisons d’édition, Sense About Science organise une dizaine d’ateliers de travail par an, sur deux thématiques particulières :
"Standing up for science" s’adresse aux scientifiques en début de carrière (ingénieurs, thèsards, post-doctorants) et a pour but de les familiariser avec les médias, de leur donner la confiance nécessaire pour qu’ils interagissent avec les médias et qu’ils ne laissent pas ce privilège aux seuls chercheurs expérimentés, et qu’ils s’impliquent activement dans des débats publics sur des sujets scientifiques, des sujets controversés particulièrement ;
"Peer review", fondé sur la publication mentionnée précédemment, est sponsorisé par une maison d’édition et Sense About Science travaille actuellement à l’exportation de cet atelier de travail à l’étranger et en particulier aux Etats-Unis, demandeurs de telles initiatives.
La participation à ces ateliers de travail est gratuite.
Mobilisation
Sense About Science est également depuis quelques temps très engagée dans certaines actions stratégiques visant à assurer le droit d’expression et la liberté académique des scientifiques. Cette action fait suite à "l’affaire Simon Singh", poursuivi pour diffamation par l’association de chiropractie britannique suite à un article qu’il a publié dans le Guardian, dans lequel il affirmait que les chiropracteurs, estimant que 99% de toutes les maladies sont causées par des vertèbres déplacées et que la chiropractie était à même de soigner des maladies telles que l’asthme, faisaient la promotion de thérapies frauduleuses. Dans le cadre de cette affaire, Sense About Science s’est mobilisé, de concert avec nombre d’associations, organisations caritatives et scientifiques, pour demander une réforme de la loi britannique qui est actuellement en cours.
De telles organisations, dédiées à la promotion de la culture scientifique auprès d’un public non averti, existent-elles en France ? Nous relevons, notamment, depuis plusieurs années, une politique de dialogue mise en place au sein de l’Inserm, s’articulant sur quatre grands axes :
la participation des associations dans la gouvernance des programmes de recherche ;
la collaboration en amont des associations à la recherche clinique ;
la formation dans le but de renforcer les capacités de dialogue et de participation des associations ;
l’animation du réseau des associations pour favoriser les échanges entre la communauté scientifique et le monde associatif.
Il n’existe cependant pas, à notre connaissance, d’organisations similaires à Sense About Science, avec la même mission et la même visibilité, en France. Si ce modèle est prêt à s’exporter vers les Etats-Unis, ne pourrait-on pas considérer de lui faire traverser la Manche et l’importer en France ?
[1] Disponibles gratuitement au format pdf sur le site de Sense About Science : http://www.senseaboutscience.org.uk
Sources :
http://www.senseaboutscience.org.uk/
The Guardian, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/8AIQy
HealthWatch Newsletter 56, 2004, http://www.healthwatch-uk.org/newsletterarchive/nlett56.htm#Sense
Inserm, http://www.inserm.fr/partenaires/les-associations-de-malades
Auteur : Dr Maggy Heintz